Probablement le jeu le plus attendu en 2022, God of War Ragnarok a la dure tâche de succéder à l’énorme succès du premier opus lancé il y a quatre ans. Qu’apporte Ragnarok de neuf à la saga ? D’où vient l’inspiration pour ces mondes fantastiques explorés par un père et son fils, Kratos et Atreus ? La Presse en a discuté avec le directeur de jeu au studio Santa Monica de Sony, Eric Williams.

La Presse : Comment gérez-vous la pression d’offrir une suite au God of War de 2018 qui a tout raflé ? Est-ce stimulant du point de vue créatif ou effrayant ?

Eric Williams : Il y a toujours de la pression. Heureusement, je suis avec le studio depuis 2004, alors ce n’est pas ma première production, j’ai connu la pression à différentes fonctions, en commençant par construire le personnage de Kratos lui-même, à travers les scripts des combats, des « boss », des ennemis. Cette pression de créer un personnage que tout le monde aime et avec lequel on veut jouer est maintenant plutôt orientée sur l’élaboration d’une bonne histoire, couche par couche. Nous faisons quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant tous les jours, et qui ne sera pas refait. Vous devez avoir un peu peur, sinon vous ne faites pas les choses correctement. Si vous regardez le projet dans son ensemble, ça semble impossible, mais si vous le prenez morceau par morceau, vous y arrivez.

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LP : Quelle était la piste que vous vouliez explorer davantage avec Ragnarok ?

EW : De toute évidence, vous êtes le fils de quelqu’un. Vous avez été un enfant, peut-être êtes-vous un parent maintenant, ça n’arrête pas, et vous voulez transposer cette relation avec votre enfant qui grandit. Dans le dernier jeu, tout le monde prenait Atreus de haut, pour lui enseigner, lui dire comment le monde est. Il ne faisait que poser des questions et obtenait des réponses. Maintenant, il peut dire qu’il n’a pas compris la réponse et que le monde est plutôt comme ceci ou comme cela. Kratos veut être très protecteur, mais il sait que s’il tient les rênes trop serrées, il va le perdre. C’est ainsi que sont les enfants. Et parfois, il faut simplement les laisser échouer, parce qu’ils ne sont pas vous, ils sont une part de vous. L’autre aspect, c’est que Kratos ne sait rien de Faye (sa femme morte), il ne savait pas qu’elle lui avait menti avant la fin du dernier jeu. Kratos veut maintenant combler ce vide, il ne savait pas que c’était une géante.

LP : On a l’impression que vous avez voulu doter Kratos d’une plus grande introspection pour que sa psychologie, qui était assez minimale, soit plus subtile…

EW : Oui, nous avons voulu donner à Kratos des ennemis ou des menaces qu’il ne peut combattre uniquement avec ses poings. Vous ne pouvez vous battre à coups de poing avec votre paternité !

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LP : On peut voir des parallèles entre le scénario de Ragnarok et la situation politique mondiale actuelle, cette idée que la guerre ne règle pas tout, mais qu’elle est parfois inévitable. Était-ce voulu ?

EW : Les gens voient ce qu’ils veulent bien voir. Si votre esprit est occupé par une situation, vous allez y voir un lien. C’est comme quand vous êtes dans un bouchon, vous voyez une voiture blanche ou une voiture bleue, et soudainement, vous voyez beaucoup de voitures blanches ou bleues. Le problème, c’est que l’Histoire se répète tout le temps, on ne peut pas dire que quelque chose qui survient aujourd’hui n’est jamais survenu dans le passé. Je ne suis pas quelqu’un de très politisé, je ne vais pas imposer mes opinions aux autres, ce que nous faisons, c’est vous divertir et vous faire ressentir quelque chose.

LP : Beaucoup de choses ont changé depuis 2018, #metoo a pris de l’ampleur, on parle plus d’inclusion et de diversité. Est-ce que ça modifie la façon de faire un jeu vidéo ?

EW : Je ne crois pas. Si vous faites quelque chose d’honnête auquel vous croyez, vous êtes sur le bon chemin. Si vous êtes inquiet pour plein d’autres choses, êtes-vous vraiment honnête ou vous cochez des cases ? Pour moi, personnellement, quand je commence un jeu, je ne joue pas à d’autres jeux, je ne veux pas être influencé. Comme directeur, j’ai trois tâches : conserver la vision, explorer les options et prendre des décisions. Le monde change, bien sûr, mais est-ce que ça affecte ce jeu ? Non. Nous racontons une histoire émouvante entre un père et son fils, des relations que n’importe qui dans le monde peut comprendre.

Pour des considérations de concision et de clarté, cette entrevue menée en anglais a été remaniée.

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