Pour mieux comprendre et expliquer pourquoi beaucoup d'investisseurs commettent des étourderies, les professionnels des marchés se tournent vers ce qui est convenu d'appeler la «finance comportementale».

Dans son analyse 2014 du comportement des investisseurs, la firme américaine Dalbar souligne que les avantages dont profitent les investisseurs institutionnels (expérience, moyens, etc.) placent les petits investisseurs dans un scénario de David contre Goliath. Dalbar laisse entendre que l'investisseur moyen doit accepter avec humilité qu'il ne peut espérer un rendement au-dessus de la moyenne. «Les investisseurs devraient comprendre ce fait et ne pas juger la performance de leur portefeuille par rapport à celle du marché.»

Un gestionnaire de portefeuille montréalais qui travaille pour une grande banque canadienne et qui demande à ne pas être identifié affirme que la seule explication au comportement des investisseurs est l'émotivité.

«Les vendeurs de 2008-2009 [lors de la crise financière] sont les acheteurs de 2013-2014 [alors que le marché atteint de nouveaux sommets]. Et ils sont probablement les mêmes qui vendaient en 2001-2002 lors de l'éclatement de la bulle techno avant d'acheter en 2007 juste avant la crise financière!» Pourtant, un principe de base en Bourse est d'acheter quand les prix sont bas et de vendre quand ils sont hauts.

Denis Gauthier, premier vice-président et directeur national, Gestion de patrimoine à la Financière Banque Nationale, ajoute de son côté que les investisseurs répèteront toujours les mêmes erreurs parce que la peur et l'appât du gain guident les décisions des gens.

«Le sentiment qu'on peut avoir en prenant une perte versus le bonheur ressenti lors de la réalisation d'un gain est asymétrique», ajoute Denis Gauthier. Une perte fait deux fois plus mal à un investisseur que le bonheur d'un gain peut lui apporter, selon certaines études.

«Ça fait en sorte qu'on peut retarder des décisions en raison de ses émotions. L'investisseur individuel a donc tendance à conserver ses mauvais titres malgré l'arrivée de nouvelles informations pertinentes qui devraient l'inciter à les vendre.»

L'investisseur agirait ainsi parce qu'il sait que vendre lui fera mal.

«Les gens retardent ce moment-là pour ne pas le vivre, mais les gains, ils les prennent facilement. Alors, que fait un investisseur quand il est laissé à lui-même? Il diminue sans s'en rendre compte la qualité de son portefeuille.»

Les investisseurs auraient donc tendance à vendre leurs bons placements trop rapidement et à conserver leurs mauvais titres trop longtemps.

Plus le temps passe, dit Denis Gauthier, plus nous nous trouvons à souhaiter que nos mauvais titres remontent. «Et là, c'est la paralysie, nous cessons de prendre des décisions. C'est terrible, car ce sont les émotions qui prennent le dessus.»

Le financier est convaincu que cette situation continuera à se reproduire dans le futur.

«Mon travail, dit son collègue Eric Szöghy, c'est d'éliminer l'émotivité.» Ce gestionnaire de portefeuille soutient vivre régulièrement des situations où un client a payé 50 000$ un titre qui vaut 40 000$ deux ans plus tard. Le client souhaite conserver le titre pour le revendre lorsqu'il vaudra de nouveau 50 000$ au lieu de se demander s'il le rachèterait aujourd'hui s'il disposait de 40 000$.

«Si la réponse à cette question est oui, il faut le conserver. Si la réponse est non, il faut investir ailleurs en se disant que les actions d'une autre société représentent une meilleure occasion de faire de l'argent.»

Petit guide des choses à ne pas faire

Les investisseurs ont tous tendance à répéter les mêmes erreurs. Voici la liste des principaux faux pas commis par les petits investisseurs, tels qu'identifiés par le groupe de financiers que nous avons interrogés.

Vouloir timer (anticiper) le marché

CUne étude d'AGF montre que plus vous conservez vos placements longtemps, moins vous risquez de subir les effets de la volatilité et plus vous avez de chances d'obtenir un rendement favorable. Selon AGF, 1000$ investit dans l'indice composé S&P/TSX depuis 20 ans a rapporté 8,3% alors qu'en manquant les 10 meilleures séances, le rendement recule à 5%. En ayant raté les 20 meilleures séances, ce rendement baisse à 2%.

Croire que les banques canadiennes ne sont pas risquées

Un placement boursier sans risque n'existe pas. Même les actions des grandes banques canadiennes comportent un haut niveau de risque. Les actions des grandes banques canadiennes ont perdu 50% de leur valeur durant la crise financière de 2008-2009.

Ne pas rééquilibrer son portefeuille

Vous avez une répartition 70-30 (actions vs obligations) et le marché la porte à 80-20, il faut prendre 10% pour le mettre dans la catégorie d'actifs qui a le moins rapporté. «C'est l'équivalent de vendre ce qui est cher pour acheter ce qui n'est pas cher», dit Eric Szöghy (Financière Banque Nationale). Un autre gestionnaire ajoute que le rééquilibrage doit être fait le plus possible à date fixe.

Consulter les rapports d'analystes

Les rapports des analystes sont avant tout destinés aux gestionnaires de portefeuille et aux investisseurs institutionnels. Un analyste se concentre sur un seul secteur et ne connaît pas la tolérance au risque des gens.

Négliger le risque à la baisse

Le processus de gestion de portefeuille débute avec l'évaluation du risque de baisse, jamais avec le rendement visé, souligne un gestionnaire d'une grande banque canadienne qui ne veut pas être nommé. «Quand on investit dans une société cotée en Bourse, on doit d'abord évaluer le risque que le titre recule», conseille un gestionnaire.

Diversifier de la mauvaise façon

Il n'est pas rare de voir une personne entretenir des liens avec deux ou trois institutions financières pour gérer le portefeuille. Mais c'est le portefeuille qui doit être diversifié. «Et en changeant de style de gestion comme on change de voie dans le trafic, la plupart du temps on se retrouve avec pire, constate un financier. En 2000, plusieurs investisseurs ont congédié leur gestionnaire pour se précipiter dans la bulle techno. On connaît la suite.»

Comparer ses rendements avec le voisin

C'est une erreur de comparer sans connaître la répartition d'actifs de chacun. Il est clair que le voisin aura un meilleur rendement quand le marché monte s'il a un pourcentage en actions plus élevé que vous dans son portefeuille.

Surestimer sa tolérance au risque

Trop d'investisseurs ont tendance à surestimer leur tolérance au risque quand le marché monte. Le risque ne se définit pas par l'appellation de la catégorie d'actifs (obligations, actions, etc.), mais par la différence entre le prix et la valeur intrinsèque d'un investissement, explique un gestionnaire de portefeuille.

La saveur du mois

Ce n'est pas parce que c'est médiatisé qu'il faut en détenir. Il faut éviter de courir après les modes (exemple: Facebook). «Dans ces cas-là, les gens ne deviennent plus rationnels et quand on leur parle d'évaluation, ils ne veulent rien entendre à propos des éléments fondamentaux», souligne Denis Gauthier (Financière Banque Nationale).

Évaluer son rendement en termes absolus

Les attentes déraisonnables amènent les mauvaises décisions. Ce qui est important, c'est d'atteindre les objectifs fixés. Il faut éviter de voir le rendement en absolu et plutôt le prendre en relatif. Un rendement négatif de 5% est intéressant si le marché a reculé de 10%.

Sous-estimer l'inflation

Beaucoup d'investisseurs sous-estiment l'inflation et les dégâts qu'elle peut causer à long terme. «L'inflation gruge le pouvoir d'achat et les actions sont un des meilleurs outils pour combattre l'inflation, rappelle Eric Szöghy. On devrait toujours avoir un horizon de cinq ans et plus pour être certain de passer au moins un cycle d'inflation.»

L'internet

Les financiers réalisent qu'avec l'accès à l'internet et les relevés en ligne, les investisseurs consultent trop fréquemment leur portefeuille et se laissent guider par les fluctuations du marché. «Plus on regarde notre portefeuille, plus on risque de prendre de mauvaises décisions, ce qui risque d'entraîner l'euphorie ou la capitulation», résume Denis Gauthier.

La peur d'investir au sommet

C'est non pertinent si le portefeuille est bien construit et surtout si on acquiert des actions d'une entreprise bien gérée qui a de belles perspectives. Il est normal d'acheter un jour un bon titre à son sommet si on croit que ce titre a tout ce qu'il faut pour continuer à s'apprécier.

Compartimenter

Les gens accordent trop d'attention à un titre qui a donné moins de rendement à l'intérieur du portefeuille. L'investisseur accorde plus d'importance qu'il ne le devrait à un seul titre. Les gens «compartimentent» les gains et les pertes dans leur portefeuille au lieu de voir l'ensemble du portefeuille.

Penser à court terme

Il ne faut pas sous-estimer ce que le temps fait à un portefeuille. Il faut garder en tête les objectifs à long terme et se demander si le portefeuille permettra d'atteindre ses objectifs sur 20 ans. Il faut cesser de remettre continuellement son portefeuille en question à court terme.

Les investisseurs souhaitent généralement deux choses, selon la firme Dalbar: faire de l'argent et ne pas en perdre.

Warren Buffett a déjà dit que la règle numéro un est de ne pas perdre d'argent. La règle numéro deux est de ne pas oublier la règle numéro un.

Dalbar dit avoir la preuve que le «buy&hold» (acheter et conserver) n'est pas utilisé par l'investisseur moyen, même si cette stratégie a récompensé l'investisseur prudent et patient depuis plusieurs décennies.