Plus que jamais, les lobbys d'actionnaires taillent leurs crayons afin de scruter les prochaines divulgations des salaires et les primes des dirigeants d'entreprises cotées en Bourse.

La raison? Pour la première fois cette année, les actionnaires de certaines grandes entreprises canadiennes pourront voter sur la rémunération de leurs dirigeants dans le cadre des prochaines assemblées annuelles.

De plus, les premières entreprises à instaurer un tel vote seront les principales banques canadiennes, déjà très critiquées pour les millions qu'elles versent à leurs hauts dirigeants.

«Le début prochain de ces votes d'actionnaires sur la rémunération est une grande victoire pour des organisations comme la nôtre, le MEDAC, après presque 10 ans de revendications», a commenté Claude Béland, ex-président du Mouvement Desjardins et président du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), au cours d'un point de presse hier à Montréal.

Pendant ce temps, à Toronto, la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance, qui regroupe 40 des plus grands investisseurs institutionnels au pays, divulguait son guide pour les conseils d'administration d'entreprises qui instaurent ou envisagent des votes d'actionnaires sur la rémunération des dirigeants.

«Ce guide devrait faciliter l'étendue de ces votes de say-on-pay des actionnaires dans tout le milieu d'affaires au Canada, a souhaité David Denison, président de la Coalition. D'autant que des entreprises de premier plan ont déjà admis l'importance de ces votes et d'un dialogue avec leurs actionnaires à propos de la rémunération des dirigeants».

Pour le moment, hors des principales banques, à peine quelques grandes entreprises cotées en Bourse ont consenti à tenir un tel «vote consultatif» lors de leurs assemblées d'actionnaires.

Ces votes sont dits «consultatifs» parce qu'ils n'auront pas force d'obligation pour les entreprises.

N'empêche, les lobbys d'actionnaires espèrent détenir ainsi un nouveau pouvoir d'influence majeur sur les conseils d'administration. «Désormais, si les administrateurs ne tiennent pas suffisamment compte du vote des actionnaires, ça pourrait devenir un argument pour réclamer l'intervention des autorités publiques envers la rémunération des dirigeants d'entreprise», a suggéré Claude Béland, du MEDAC.

Mais un tel scénario est encore absent des priorités du MEDAC et de la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance. Plutôt, dès les prochaines semaines, ils surveilleront l'implantation des premiers votes d'actionnaires sur la rémunération des dirigeants.

Et au MEDAC, on portera une attention toute spéciale aux documents préparatoires des assemblées d'actionnaires. En particulier les circulaires de direction des grandes banques, attendues d'une semaine à l'autre.

Parce que leur exercice financier se termine le 31 octobre, les banques inaugurent la saison annuelle des assemblées d'actionnaires.

Aussi, leurs circulaires de direction seront les premières soumises aux attentes rehaussées en matière d'explication sur la rémunération des dirigeants.

«Ces explications devront enfin claires et compréhensibles pour tous les actionnaires, si le conseil d'administration veut leur appui», a résumé Louis Champoux-Paillé, une administratrice du MEDAC et responsable de son Comité de suivi sur le vote consultatif.

En parallèle, le MEDAC poursuivra ses démarches auprès d'entreprises dirigées du Québec pour qu'elles instaurent un vote d'actionnaires sur la rémunération des dirigeants.

Car pour le moment, seules quelques grandes entreprises ont accepté d'instaurer ces votes, sous la pression croissante de leurs actionnaires. Il s'agit des banques Nationale et Laurentienne, de l'assureur-vie Industrielle Alliance ainsi que de l'entreprise de télécoms BCE (Bell Canada).

Ailleurs, le colosse industriel Bombardier, l'important holding financier Power et le groupe médiatique Quebecor refusent de faire voter leurs actionnaires sur la rémunération de leurs dirigeants. Et ce, en dépit de discussions et de propositions formelles en ce sens lors de leurs dernières assemblées annuelles, en 2009.

Chez Bombardier, le MEDAC entend répliquer à sa prochaine assemblée d'actionnaires, au début de juin.

Chez Quebecor, l'organisme doit attendre l'entrée en vigueur de la nouvelle loi québécoise sur les compagnies, en 2011, pour y présenter une proposition de vote des actionnaires sur la rémunération des dirigeants.

Quant à Power, le MEDAC lui mène déjà bagarre en cour afin de le forcer à divulguer les états financiers de ses filiales, en particulier Gesca, le principal éditeur de quotidiens au Québec, dont La Presse.

Le MEDAC a déjà gagné en Cour d'appel du Québec avec cette cause, qui ferait marque dans le droit corporatif au Canada, selon Claude Béland.

Néanmoins, Power maintient sa résistance judiciaire en invoquant cette fois un risque de préjudice à ses affaires.