Les autorités ontariennes demandent aux tribunaux d'autoriser une enquête pancanadienne sur l'affaire Sinorama pour que la lumière soit faite sur les millions de dollars des clients qui ont disparu.

Le 10 octobre, une requête a été déposée par le Travel Industry Council of Ontario (TICO), qui joue le même rôle que l'Office de la protection du consommateur (OPC) au Québec. La requête vise plus particulièrement Sinorama Holidays, en Ontario, mais également Sinorama Travel Vancouver, en Colombie-Britannique, et Vacances Sinorama, de Montréal.

Les trois entités étaient sous le contrôle des dirigeants Simon Hong Qian et Martine Wenjia Jing, à Montréal. Selon nos estimations, environ 40 millions de dollars provenant de près de 15 000 clients canadiens pourraient avoir été perdus dans cette affaire, auxquels s'ajoutent plusieurs millions de dollars dus à d'autres créanciers.

Le TICO demande la nomination d'une firme juricomptable pour faire enquête. Elle exige que les deux dirigeants remettent tous les documents financiers et relevés de comptes bancaires de l'organisation, en plus de leur donner accès aux divers lieux que l'enquêteur nommé jugerait pertinents en lien avec ces documents.

La requête du TICO a été déposée devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario, mais elle demande l'assistance des tribunaux du Québec et de la Colombie-Britannique. Elle a été faite en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, affirmant que les dirigeants de Sinorama ont géré l'organisation de sorte qu'ils ont « injustement porté préjudice aux intérêts des créanciers ». Les audiences en Ontario débuteront le 6 novembre.

FONDS DÉTOURNÉS ?

Le TICO juge qu'une enquête est nécessaire pour savoir combien d'argent est dû à quels clients. L'organisme veut ainsi redistribuer adéquatement les fonds saisis dans certains comptes bancaires, mais également « voir dans quelle mesure des actions correctives peuvent être prises contre ceux qui ont pu détourner les fonds des comptes en fidéicommis des clients ».

Selon la requête, les voyageurs ontariens ont versé des acomptes de 14,5 millions à Sinorama Holidays pour des services qu'ils n'ont pas reçus. Le TICO a fait saisir des comptes bancaires en Ontario dans lesquels il y avait 6,6 millions, si bien qu'il manque 7,9 millions. Environ 5800 clients ontariens sont lésés dans cette affaire, nous indique le TICO.

FAITS TROUBLANTS

Le TICO a entrepris une inspection de Sinorama Holidays en mai dernier, dans la foulée des révélations de La Presse, suivie d'une enquête en août qui a mené à la saisie des comptes bancaires ontariens. Or, cette enquête a révélé des faits troublants, explique le président du TICO, Richard Smart, dans une déclaration sous serment.

D'abord, le compte en fidéicommis des clients présentait une comptabilisation inappropriée. Ainsi, plutôt que d'être positif de 1,1 million de dollars au 31 mars 2018, le fonds de roulement était négatif de 8,6 millions.

Selon la déclaration de M. Smart, cet écart s'explique par l'inclusion dans le fonds de roulement de sommes versées à une société affiliée, ce qui est interdit par la réglementation. La société affiliée en question est Vacances Sinorama, de Montréal, à qui Holidays déclarait avoir prépayé des voyages totalisant 9,7 millions, sommes qui étaient erronément incluses dans le fonds de roulement.

Autres faits troublants : lors de son enquête, le TICO a découvert que Holidays faisait à Sinorama Montréal des paiements forfaitaires très importants sans justification, si bien qu'il est impossible de savoir pour quels clients ou quels voyages ils ont été faits.

À la requête du TICO est aussi jointe une déclaration sous serment de Shahid Noorani, vice-président des affaires réglementaires de Consumer Protection BC.

L'inspection de Consumer Protection BC a elle aussi constaté un déficit dans le fonds de roulement de Sinorama Travel Vancouver. La presque totalité des fonds des clients était utilisée pour payer des voyages par l'entremise de Sinorama Montréal, qui agissait comme grossiste.

Et en août, moment où Sinorama Montréal était jugée insolvable, les quelque 4000 clients de Vancouver avaient toujours pour l'équivalent de 8 millions de dollars d'acomptes pour des voyages non réalisés. Consumer Protection BC a donc gelé les trois comptes de Sinorama Travel Vancouver dans les succursales locales de la Banque Nationale, où se trouvaient environ 400 000 $.

Pour comprendre les raisons du déficit du fonds de roulement, elle a exigé qu'on lui transmette les états financiers et registres bancaires de Travel, mais à ce jour, elle est toujours incapable de les obtenir.

L'ordonnance du tribunal permettrait à l'éventuelle firme juricomptable d'avoir accès aux documents financiers entre les mains de l'OPC, que cette dernière refuse de transmettre au TICO et à Consumer Protection BC en raison de la Loi québécoise sur les renseignements personnels.

Joint au téléphone, Brian Mitchell, l'avocat de Simon Qian et Martine Jing, fait valoir que les faits contenus dans la requête et les déclarations sous serment n'ont pas été prouvés en cour. Ces faits seront contestés par ses clients, dit-il, sauf en ce qui a trait à Vacances Sinorama Montréal, en faillite, qui devra être défendue par la syndique Johanne Serpone.