La Société des alcools du Québec répète sans cesse que l'objectif de son programme Inspire vise à susciter la découverte, mais elle est bien au fait de la puissance de son outil de marketing. Un document obtenu par La Presse canadienne révèle que la société d'État mousse la force de vente de son programme auprès de ses fournisseurs.

Dans ce document de présentation destiné à faire la promotion du programme Inspire auprès des fournisseurs de la SAQ, on trouve une page intitulée : « Un programme qui vend », où l'on cite plusieurs statistiques tirées d'une étude de la clientèle menée en janvier 2018.

Parmi les données mises de l'avant, la SAQ se targue que 70 % de ses ventes proviennent de membres Inspire. À la deuxième ligne, la Société d'État se félicite que « 52 % disent que SAQ INSPIRE (en lettres majuscules dans le texte) les amène à acheter davantage ».

Le mot « davantage » est d'ailleurs le seul écrit en lettres marron dans le texte. La même couleur que le titre de la page qui insiste sur la force d'attraction du programme sur les ventes.

Cette présentation est signée par la directrice du marketing expérientiel, Sandrine Bourlet, promue depuis au poste de vice-présidente commercialisation.

Le document poursuit en révélant que le panier d'achats des abonnés est 44 % plus élevé que celui des non-membres. De plus, on souligne que 64 % des utilisateurs considèrent que les offres exclusives envoyées par Inspire les encouragent à acheter ces produits.

Plus loin, dans la même présentation promotionnelle, la SAQ invite ses fournisseurs à participer au programme de promotion Inspire, précisément parce que « C'EST PAYANT ! », lit-on en lettres majuscules.

D'après les chiffres dévoilés, les produits poussés à la clientèle par les « offres exclusives » personnalisées ont connu une croissance des ventes de 8,5 % comparativement à seulement 2,7 % pour les produits réguliers.

Rappelons que le programme de récompense Inspire a permis aux utilisateurs de consommer gratuitement l'équivalent de 128 millions en produits alcoolisés depuis sa mise en place en 2015. En 2018 seulement, les abonnés ont bu pour 41 millions de vins et de spiritueux sur le bras de la Société d'État.

Pour rassurer les partenaires

D'après l'agente d'information de la Société des alcools du Québec, Linda Bouchard, cette présentation de Mme Bourlet visait à rassurer les fournisseurs que le programme est apprécié de la clientèle. La direction voulait démontrer l'efficacité du transfert des promotions de masse vers les offres personnalisées.

« Les partenaires d'affaires font maintenant des offres avec Inspire, avec un ciblage plus pointu de leurs clients potentiels, et ce qu'on leur dit c'est que ça fonctionne », explique la porte-parole en précisant qu'il faut tenir compte du contexte de la présentation du document.

Elle ajoute qu'il est normal que les membres Inspire dépensent plus que les clients réguliers qui n'ont peut-être aucun intérêt particulier pour les vins et les spiritueux. En ce qui concerne les offres ciblées, elle reconnaît que ces produits grimpent en popularité, mais soutient qu'il s'agit d'une incitation à la découverte.

« Ça ne veut pas dire que le client va acheter cette bouteille-là en supplément de ses achats réguliers. On dit que ce produit-là connait du succès parce qu'on a bien ciblé le client, on a répondu à ses attentes et on l'a incité à la découverte », mentionne la porte-parole de la société d'État.

Pourtant, les chiffres de l'étude client de la SAQ indiquent précisément que plus de la moitié des 2,38 millions d'abonnés déclarent que leur carte Inspire les pousse à « acheter davantage ».

« On n'a pas d'objectifs de vente. Ce n'est pas en quantité d'alcool qu'on veut être meilleur. On est en révision de nos processus d'affaires pour que tout ça coûte moins cher pour qu'on puisse donner un plus grand montant au gouvernement », assure Mme Bouchard.

Elle maintient que le taux de générosité de la SAQ n'a pas augmenté depuis le transfert des rabais en argent vers un système de points et qu'il n'est pas question d'augmenter cette générosité.

Du marketing inquiétant pour la santé publique

Jugeant cette stratégie commerciale incompatible avec les efforts de réduction des problèmes de santé publique liés à la consommation d'alcool, le Dr Réal Morin, spécialiste des enjeux de santé liés à l'alcool à l'Institut national de santé publique, attend toutefois la publication de nouvelles données sur la consommation totale en équivalent d'alcool pur pour déterminer s'il y a véritablement un effet sur le volume d'alcool qui circule dans les veines de la population. Ces chiffres sont publiés chaque année par Statistique Canada.

« Les dernières données montrent que les spiritueux augmentent et ça, c'est du 40 % d'alcool. Ces produits-là, si on les considère en fonction du prix d'un verre d'alcool standard, ils sont peu chers et ils font partie des promotions (d'Inspire) », souligne le Dr Morin.

Malgré sa réserve sur la quantification de l'impact sur la consommation, le spécialiste dénonce tout de même une stratégie « qui vise explicitement ou non la fidélisation comme s'il y avait une concurrence qui n'existe pas ».

Il renchérit en soulignant que si le propre discours de la SAQ auprès de ses fournisseurs « c'est de dire que la carte Inspire c'est pour encourager les gens à obtenir des rabais pour consommer plus. C'est difficile de dire que ce n'est pas l'objectif qu'ils poursuivent ».

De l'avis du Dr Morin, si la SAQ vise réellement à encourager la découverte de produits plus luxueux, elle devrait forcer les abonnés à utiliser leurs points uniquement sur l'achat de produits correspondant à un niveau de prix plus élevé.

La Presse canadienne a tenté à nouveau d'obtenir le point de vue de la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, au sujet de l'impact de cette stratégie de vente de la société d'État, mais son équipe a refusé notre demande d'entrevue.