Lorsque les patients consultent leurs pharmaciens communautaires plutôt que de se rendre dans une clinique sans rendez-vous ou aux urgences pour des problèmes de santé mineurs, l'État économise près de 500 millions par année, révèle une étude obtenue par La Presse sur la fréquence, la nature et les effets des conseils prodigués par les pharmaciens communautaires au Québec.

Cette étude a été réalisée par trois chercheurs : Aude Motulsky, du Centre de recherche du CHUM (CRCHUM), Stéphanie Boulenger, du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), et Guy Paré, de HEC Montréal.

Éviter d'autres services plus coûteux

Les participants à l'étude indiquent que la consultation en personne auprès d'un pharmacien pour un problème de santé leur a permis d'éviter un appel à la ligne Info-Santé (49%), de prendre un rendez-vous avec leur médecin de famille (44%), de se rendre à une clinique sans rendez-vous (41%), de consulter un autre type de professionnel de la santé (30%) ou encore de se rendre aux urgences d'un hôpital (17%).

«C'est la première fois qu'une étude fait cette démonstration que non seulement les gens viennent consulter le pharmacien pour des problèmes de santé, mais que les consultations répondent à leurs besoins au point où ils n'ont pas besoin d'aller consulter une autre ressource du système, d'où les économies calculées», souligne Jean Bourcier, vice-président de l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) - groupe qui a commandé l'étude.

Calculs conservateurs

Les coûts potentiels ainsi évités pour le système de santé sont de l'ordre de 707 $ par pharmacie communautaire par jour ouvrable, ont évalué les chercheurs. Ces derniers soulignent que leurs calculs sont conservateurs.

À titre d'exemple, pour les visites évitées aux cliniques sans rendez-vous, les chercheurs ont émis l'hypothèse qu'il s'agissait de visites ponctuelles mineures (moins onéreuses que les visites ponctuelles complexes) pour des patients non vulnérables âgés de 80 ans ou moins.

Le montant de 707 $ par pharmacie par jour est basé sur l'hypothèse conservatrice que seulement 13 consultations sont effectuées en personne par jour au sein d'une même pharmacie, expliquent les chercheurs dans leur étude.

Effets positifs sur la santé

Les consultations auprès d'un pharmacien communautaire ont entraîné plusieurs effets positifs sur la santé des clients, en plus de leur éviter de rater du travail ou de l'école, indiquent les chercheurs. Les participants à l'étude ont mentionné une qualité de vie améliorée (27%), une diminution du niveau d'anxiété (23%), une stabilisation ou une amélioration de l'état de santé (22%) et un rétablissement plus rapide (18%).

Près de 8000 consultations réalisées dans 19 pharmacies à travers le Québec ont été analysées dans cette étude. Quelque 900 patients ont aussi été interrogés dans le cadre de cette recherche multivolets.

Désengorger la première ligne

Le pharmacien communautaire, de par son rôle de conseiller clinicien, contribue au désengorgement du système de santé québécois, concluent les chercheurs. «On le voit sur le terrain, depuis 10 ans, la difficulté d'accès à la première ligne est bien réelle. De plus en plus de patients se tournent vers nous, car ils n'ont pas d'autres moyens de voir un expert en santé rapidement, décrit Jean Thiffault, président de l'AQPP. Le pharmacien, ce n'est pas juste quelqu'un qui vend des pilules, c'est un expert qui pourrait être plus utilisé dans notre système actuel.»

Les pharmaciens soutiennent qu'ils pourraient participer de manière plus systématique au triage en première ligne en raison de leurs compétences et de leur grande disponibilité.

Pas se substituer au médecin

Pour 14% des 7996 consultations, le pharmacien a recommandé une consultation avec une autre ressource professionnelle. La clinique sans rendez-vous et le médecin de famille sont les ressources les plus fréquemment recommandées, alors que les urgences ne sont recommandées que dans 2% des consultations.

Le rôle du pharmacien ne semble pas se substituer à celui du médecin de famille ou des autres professionnels de la santé, avancent les chercheurs. Selon eux, le pharmacien constitue une valeur ajoutée distincte. «On pense que cette vision d'utiliser la bonne ressource au bon moment pourrait être mieux appuyée par les décideurs publics», ajoute M. Thiffault, de l'AQPP.

Loi 41 peu utilisée

La loi 41 - adoptée en 2011, qui permet aux pharmaciens de faire certains gestes traditionnellement réservés aux médecins - a été utilisée dans 3,5% des consultations analysées par les chercheurs, surtout lorsque le patient avait besoin d'un nouveau médicament.

«La loi 41 gagnerait à être mieux connue des patients, avance M. Thiffault, de l'AQPP. Toutefois, on pense que cela illustre surtout à quel point les activités courantes des pharmaciens communautaires vont au-delà des activités encadrées par la loi 41 parce que les besoins des patients sont très larges et que ces derniers n'arrivent pas à les combler ailleurs vu les problèmes d'accès à la première ligne.»

L'exemple anglais

En Angleterre, une étude menée de 2012 à 2013 a mesuré les coûts liés aux consultations pour des problèmes de santé mineurs. Alors que la résolution des symptômes est similaire peu importe le milieu consulté, les coûts pour la consultation en pharmacie sont trois fois moins élevés que ceux liés à la consultation en cabinet médical, et cinq fois moins élevés que ceux aux urgences.