Des experts en santé publique jugent que la réforme du régime des permis d'alcool est «incohérente», dans la mesure où Québec souhaite simplifier la vie des commerces alors même que l'on réglemente sévèrement la nouvelle industrie du cannabis.

«D'un point de vue strictement scientifique, objectif et de santé publique, c'est absolument ahurissant de voir l'incohérence totale» entre le projet de loi 170 visant à moderniser la vente d'alcool et l'encadrement de la vente prochaine de cannabis, souligne Jean-Sébastien Fallu, expert en prévention de la toxicomanie à l'Université de Montréal, qui sera de passage cette semaine en commission parlementaire à l'Assemblée nationale.

Émilie Dansereau-Trahan, spécialiste de contenu à l'Association pour la santé publique du Québec, considère également que «nos croyances prennent le dessus sur les données probantes» quand vient le temps de réglementer la vente d'alcool.

«L'alcool et le cannabis sont deux substances psychoactives et les approches du gouvernement [pour les encadrer] sont diamétralement opposées. [...] L'alcool est une substance qui cause des dommages. Il n'y a pas de seuil sécuritaire de consommation, c'est associé aux cancers, mais ça, c'est complètement occulté», souligne-t-elle.

Des intérêts divergents

Ces positions tranchent avec le son de cloche des détaillants en alimentation, qui voudraient pouvoir vendre de l'alcool après 23h, ou celui de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, représentant les PME, globalement satisfaite du projet de loi présenté par le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux.

«Les commerçants sont, selon nous, les meilleurs acteurs pour identifier si ça vaut la peine de vendre de l'alcool plus tard que 23h, en se conformant à des normes [qu'il faut établir]», estime Pierre-Alexandre Blouin, président-directeur général de l'Association des détaillants en alimentation du Québec.

«Si jamais le gouvernement décide d'aller de l'avant avec une formation obligatoire [pour les serveurs dans les bars et les restaurants], on ne voudrait pas non plus que cette responsabilité tombe dans la cour des employeurs. [...] La formation devrait être gratuite et dispensée par la Régie des alcools», affirme de son côté Martine Hébert, vice-présidente principale à la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

Dans le cadre de sa réforme, Québec entend notamment demander aux propriétaires et gérants d'établissements où se vend de l'alcool qu'ils suivent une formation sur la consommation responsable, et permettre aux dépanneurs de vendre de l'alcool dès 7h.

Le bien commun invoqué

«Tous les gens qui se préoccupent du bien commun, de la santé et de la sécurité publique vous diront» qu'il faut une formation obligatoire pour les serveurs, estime Hubert Sacy, directeur général d'Éduc'alcool, qui milite pour que le cours Action Service, créé en partenariat avec l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), soit obligatoire sur l'ensemble du territoire.

«Ce qui est dans le projet de loi n'est pas incompatible à ce qu'il y ait un jour une formation obligatoire pour tous les employés. [Mais] ce n'est pas quelque chose qu'on souhaite faire dans un premier temps», a souligné le ministre Coiteux, mardi, en commission parlementaire.