À la clinique spécialisée pour les adolescents souffrant de troubles dépressifs et suicidaires de l'Institut Douglas, il y a déjà un effet 13 Reasons Why.

Et il est négatif, confirmant du même coup les craintes soulevées par les spécialistes en prévention du suicide depuis la sortie de la série américaine sur Netflix, à la fin du mois de mars.

«On a vu à la clinique des ados en cours de traitement avoir encore plus d'idées suicidaires après avoir écouté les premiers épisodes. La série a aggravé leur état», décrit la Dre Johanne Renaud, chef médical du programme de pédopsychiatrie à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas.

La série 13 Reasons Why  - 13 raisons en français - traite du suicide d'une adolescente, Hannah Baker, qui laisse derrière elle des cassettes audio pour «expliquer» son geste. Cette série produite par la chanteuse pop américaine Selena Gomez est actuellement «le sujet de l'heure» chez les ados et les jeunes adultes tant au Canada, aux États-Unis qu'en Europe. (Attention, cet article contient des divulgâcheurs).

«On ne peut pas faire comme si la série n'existait pas. On ne peut pas non plus l'interdire aux ados, car ça va avoir un l'effet contraire - ça va les inciter à l'écouter - , mais une mise en garde s'impose. Les risques de contagion chez des ados qui souffrent déjà sont réels», affirme la pédopsychiatre montréalaise.

La série contient des scènes explicites d'agressions sexuelles. On voit aussi clairement comment l'adolescente se donne la mort.

«La série a voulu montrer des facteurs de risque liés au suicide - comme l'intimidation, les traumatismes (agressions sexuelles), la faible communication entre les ados et les adultes -, mais c'est une vision en tunnel, celle d'Hannah. Le ton est vengeur, c'est presque caricatural. J'y vois un danger», explique la Dre Renaud, qui a visionné les 13 épisodes.

«Longue énumération d'échecs»

Dès le premier épisode, on lance aux spectateurs le message que personne ne peut avoir un apport positif sur la vie d'une jeune aux prises avec des idées suicidaires, car le pire est déjà arrivé, déplore la Dre Renaud.

«Le grand problème de cette série, c'est qu'elle est une longue énumération d'échecs. Le seul adulte vers qui l'ado finit par se tourner pour recevoir de l'aide se plante royalement dans son intervention», critique pour sa part le directeur de l'Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), Jérôme Gaudreault.

Le suicide est montré comme la seule option pour Hannah Baker, alors que le suicide n'est pas une option, insiste M. Gaudreault, qui se dit aussi «très inquiet» des impacts de cette série chez les ados en détresse.

Réal Labelle, directeur scientifique du Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie de l'Université du Québec à Montréal, qualifie aussi la série de «dangereuse». «C'est prouvé scientifiquement qu'il y a un effet d'entraînement lorsqu'on montre un suicide de manière explicite dans les médias. C'est encore pire si on glorifie le geste», explique le professeur de psychologie.

La santé mentale, la grande absente

Le suicide est un phénomène complexe, disent les intervenants en prévention. C'est «tentant» d'essayer de trouver des raisons qui expliquent le geste - comme un viol ou l'intimidation -, mais ce n'est jamais aussi simple, préviennent les spécialistes.

«Contrairement à ce qui est mis de l'avant dans la série, il n'y a pas de lien de cause à effet entre l'intimidation et le suicide, ou encore entre le viol et le suicide. Ce sont des facteurs qui peuvent aggraver la détresse de la personne, mais dans la grande majorité des cas, il va toujours y avoir la présence d'un problème de santé mentale, explique M. Gaudreault. Malheureusement, la santé mentale est complètement évacuée de la série.»

Tous les ados en parlent

Après s'être rendu compte que c'était LE sujet de discussion des jeunes ces jours-ci au Québec, plusieurs écoles ont pris contact avec l'AQPS pour obtenir des conseils.

Cette série ne doit pas être utilisée comme un outil de prévention sur le suicide, avertit M. Gaudreault, de l'AQPS. Les écoles doivent éviter d'organiser des visionnements et même des discussions en grand groupe sur la série, recommande-t-il.

L'AQPS a d'ailleurs participé à un webinaire «d'urgence» la semaine dernière, organisé par une association de prévention américaine qui rapportait au moins deux cas de suicide et plusieurs tentatives de suicide liés à la série aux États-Unis.

Les écoles et les parents doivent être attentifs aux discussions entre les jeunes sur la série-choc. «S'ils abordent la question, il faut insister sur le fait qu'il s'agit d'une fiction, que les adultes sont des alliés, que l'école peut les soutenir là-dedans, rappelez-leur le nom des intervenants dans l'école, les ressources d'aide et accompagnez-les vers ces ressources», recommande M. Gaudreault, expert en prévention du suicide.

Même si ça faisait sans doute une moins bonne série télé, la meilleure façon de faire de la prévention du suicide chez les adolescents, c'est de faire la promotion d'une bonne santé mentale ; de leur parler de sommeil, de l'équilibre entre les activités sociales et les études, d'avoir des bonnes relations avec leurs amis et leur famille, conclut de son côté la Dre Renaud.

Des réalités vécues

Même si la série 13 Reasons Why suscite plusieurs critiques, certains aspects sont très réalistes, dit Hertel Huard, chef d'équipe chez Tel-jeunes. Dans cette série, les adolescents et leurs parents vivent dans des mondes parallèles. Les parents d'Hannah Baker ignoraient tout de la souffrance de leur fille. 

«On reçoit beaucoup d'appels d'ados qui songent au suicide, mais qui ne veulent pas en parler avec leurs parents, raconte M. Huard. Ils ne veulent pas déranger. Comme Hannah dans la série, ils développent des perceptions erronées à l'effet que leurs parents seraient mieux sans eux.» 

Malgré le fait que l'histoire est «romancée» et que les problématiques vécues par les personnages sont «condensées», l'intervenant de Tel-jeunes trouve aussi très crédible le fait que les personnages semblent «pris avec leurs secrets» et toujours méfiants, «en train de surveiller leurs arrières» pour éviter que leurs secrets ne soient éventés.

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