Onze aînés hébergés au CHSLD de Beauceville auraient été maltraités par une préposée aux bénéficiaires, poussée à la retraite récemment après avoir été dénoncée par deux collègues de travail, a appris La Presse. La direction de l'établissement a transféré le dossier à la Sûreté du Québec (SQ).

Les responsables locaux du corps de police ont renvoyé La Presse à une porte-parole, Ann Mathieu, qui n'a voulu « ni confirmer ni infirmer » la tenue d'une enquête. Mais selon les informations obtenues auprès de plusieurs sources sûres, des agents ont rencontré des victimes potentielles dans les dernières semaines.

« Des allégations de gestes inappropriés nous ont été rapportées et nous avons pris des mesures appropriées » au terme d'une enquête interne, a indiqué une porte-parole du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches. « Les résidants sont en sécurité. »

Il s'agirait surtout de « maltraitance psychologique », selon des proches de victimes qui ont requis l'anonymat par crainte de représailles. Mais « si la direction a transmis le dossier à la SQ, c'est qu'il n'y avait pas juste des paroles » répréhensibles, a témoigné l'un d'eux, refusant d'entrer dans les détails afin d'éviter que l'on puisse identifier la victime.

La préposée aurait tenu des propos « blessants » et « humiliants ». Elle aurait eu un comportement « brusque » envers des personnes hébergées. Elle s'en serait prise aux plus vulnérables, ceux qui ne peuvent se défendre, qui ont des problèmes de mémoire et du mal à s'exprimer.

La préposée aurait crié par la tête aux résidants, frustrée qu'ils ne se déplacent pas assez vite à son goût : « Avancez ! Avancez ! J'ai dit : Avancez ! »

L'employée aurait manipulé « brusquement » des aînés. Elle aurait à plusieurs reprises déplacé une personne anxieuse très près du bord de son lit, dans l'intention de lui faire peur.

Ces témoignages proviennent de proches des victimes à qui la direction a raconté le résultat de son enquête plus tôt ce mois-ci.

DÉNONCÉE PAR DES COLLÈGUES

À la fin de février, deux employés de ce CHSLD ont signalé à leur patron qu'une collègue maltraiterait des personnes âgées. La directrice Manon Trudel, nouvellement en poste, a aussitôt suspendu, avec salaire, la travailleuse visée par ces allégations.

C'est à ce moment que l'enquête interne a été déclenchée. D'autres employés ont corroboré les allégations, selon des sources.

Début mars, la direction a rencontré la préposée aux bénéficiaires pour la placer devant un choix : c'est soit la porte, soit la retraite anticipée. Elle a préféré la seconde option à un congédiement. Tous les employés ont été convoqués par la suite pour les sensibiliser à l'importance de dénoncer la maltraitance. Le fil des événements a été confirmé par les familles de victimes.

Manon Trudel a décliné une demande d'entrevue et a renvoyé La Presse au CISSS de Chaudière-Appalaches. La préposée aux bénéficiaires « n'est plus à notre emploi », a affirmé une porte-parole, Mireille Gaudreau, sans vouloir donner de précisions.

Elle a invoqué des règles de confidentialité entourant « toute situation de maltraitance ou n'importe quelle condition physique d'un usager ». Mais elle a ajouté : « Par rapport à la maltraitance, on a des politiques en vigueur, c'est tolérance zéro. Dès qu'une situation inadéquate est portée à notre attention, il y a des mécanismes qui se mettent en branle, et des actions sont mises de l'avant tout de suite pour que ça cesse. Et on fait une sensibilisation à nos employés pour dénoncer tout acte qu'ils jugent inapproprié. Et dans le cas où il y a des situations qui peuvent avoir une nature criminelle, nous, on fait une dénonciation à la police. »

Le président du comité des résidants du CHSLD de Beauceville, Michel Beaulieu, fera le point sur la situation au cours d'une assemblée générale, le 2 avril. Il se refuse à tout commentaire d'ici là.

Le président du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet, a été mis au courant de l'affaire. « Ce que j'ai su, c'est que dès que l'information a été suffisamment colligée par l'administration, ils ont forcé l'employée à prendre sa retraite. »

« Le syndicat s'en mêle. Et souvent, on va déplacer les résidants pour ne pas qu'ils fassent face à l'employé, au lieu de déplacer l'employé... Et c'est le syndicat qui gagne la mise. Ça n'arrive pratiquement jamais qu'on fasse les choses aussi clairement en faveur des résidants comme on semble l'avoir fait. »

L'EX-PRÉPOSÉE SE DÉFEND

Jointe par La Presse, l'ex-préposée aux bénéficiaires s'est défendue d'avoir fait des gestes répréhensibles. « Je n'ai pas fait de maltraitance pantoute. » Elle a toutefois reconnu qu'elle disait parfois « des petites phrases », exprimant « tout haut » ce que d'autres pensaient « tout bas ». « Je disais ce que je pensais, a-t-elle affirmé à La Presse. C'est ça, mon défaut : ne pas avoir de filtre ». Selon elle, « en vieillissant, des fois, on a moins de filtre que quand on est plus jeune ». Mais « non, je n'ai pas cassé de bras à personne ».

Elle se dit aujourd'hui « très heureuse ».

De leur côté, les proches des victimes tentent de chasser un sentiment de culpabilité. « C'est triste, mais on ne pouvait pas savoir ce qui se passait, ça ne se passait pas devant nous », a dit une source. Les résidants, paralysés par la peur ou la maladie, n'ont jamais pu se confier à leur famille.

Néanmoins, une source s'est déjà plainte dans le passé auprès de la direction de l'« attitude » de l'employée, qui avait plusieurs années de service. « Je leur ai dit qu'elle n'était pas à sa place, qu'elle bourrassait parfois, qu'elle nourrissait les personnes avec une cuillère à soupe » pour gagner du temps. « On se faisait répondre : "On l'a à oeil." » Il y a eu un fort roulement de personnel à la tête de cet établissement dans les dernières années.

Malgré tout, les proches considèrent que la direction a agi avec « célérité » à la suite de la dénonciation faite par le personnel. Ils craignent cependant que l'ex-préposée ne puisse se trouver du travail ailleurs dans le réseau public ou dans des établissements privés, où les offres d'emploi ne manquent pas.

« Si jamais elle retrouve une job dans le réseau, c'est le ridicule qui aura tué, a commenté Paul Brunet. Cette personne, de toute évidence, n'a pas les aptitudes pour faire la job qui est demandée. C'est le moins que l'on puisse dire. Si ça s'est fait comme on me rapporte que cela s'est fait, on ne peut pas excuser ça. C'est vraiment de la méchanceté. On a posé des gestes honteux, scandaleux, odieux. »

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Pour la dénonciation obligatoire

Des proches de victimes se prononcent pour la dénonciation obligatoire de la maltraitance. Il faut mettre fin à « la loi du silence », plaident-ils. S'ils ont accepté de témoigner de leur vécu, c'est pour condamner les mauvais traitements et en parler concrètement. Or, le projet de loi 115 sur la maltraitance des aînés du gouvernement Couillard n'oblige pas les employés des centres d'hébergement à signaler les actes répréhensibles. La dénonciation obligatoire était pourtant prévue dans un autre projet de loi déposé par l'ex-députée Marguerite Blais, lorsque les libéraux étaient dans l'opposition, en 2013. En campagne électorale, Philippe Couillard s'était engagé à adopter cette mesure et à imposer « des amendes pour toute personne qui entraverait la lutte contre la maltraitance ». L'opposition et des groupes de défense des droits des aînés lui demandent aujourd'hui de respecter sa parole.