Le Collège des médecins du Québec a déposé 33 chefs d'accusation d'exercice illégal de la médecine contre cinq ostéopathes et contre le Collège d'études ostéopathiques (CEO), l'un des plus grands centres de formation de la province. Pour la principale association d'ostéopathie de la province, ces récents évènements sont la preuve qu'il est urgent d'encadrer la profession au Québec.

Le Collège des médecins reproche au CEO et aux cinq ostéopathes, deux enseignants et trois étudiants, d'avoir diagnostiqué des maladies, d'avoir déterminé des traitements médicaux et d'avoir prescrit des traitements, des activités réservées aux médecins. Les réclamations s'élèvent à 370 000 $.

« Je suis inquiète pour la pratique de l'ostéopathie. Je crains l'effet nocif de ces mesures, qui pourraient inciter des ostéopathes à pratiquer dans l'ombre », affirme la directrice générale d'Ostéopathie Québec, Louise Cantin. 

« Je crains aussi que cette action n'insécurise les patients et que certains associent la profession au mot "charlatan". »

Ostéopathie Québec est une association professionnelle qui représente environ 1000 des 1700 ostéopathes de la province. Quelque 80 % des membres d'Ostéopathie Québec ont été formés au CEO, selon Mme Cantin.

Enquêteurs incognito

L'enquête du Collège des médecins a été déclenchée en septembre 2016, après la diffusion d'une publicité annonçant des services dans une clinique externe du CEO.

Le Collège y a envoyé des enquêteurs incognito. L'une d'elles s'est plainte de maux au genou droit, de problèmes de digestion, de maux de ventre, de chaleurs dues à la préménopause et d'impatience au niveau des jambes.

Une étudiante en ostéopathie aurait examiné l'enquêtrice et affirmé que son sacrum était « ralenti par le mésentère du rein droit ». À la suite de palpations, l'étudiante aurait établi un diagnostic de problème au rein droit, de trouble avec une vertèbre du bas du dos, et d'un trouble entre l'attache musculaire et le psoas. L'ostéopathe en formation aurait notamment procédé à un traitement de « balance » en exerçant une pression sur le bas du ventre de la patiente. Lors d'un autre rendez-vous, l'étudiante aurait entre autres suggéré à l'enquêtrice de se faire enlever son stérilet.

À la mi-janvier, le Collège a fait autoriser les 33 chefs d'accusation contre le CEO et cinq ostéopathes, dont deux superviseurs et trois étudiants. Le Collège des médecins a aussi poursuivi son enquête et conclu que « malgré les accusations d'exercice illégal qui ont été déposées, des consultations en lien avec des problèmes de santé du public sont toujours effectuées au sein de la clinique externe par des non-professionnels », explique la porte-parole du Collège des médecins, Caroline Langis. Une demande d'injonction pour faire cesser ces activités a été déposée, début février.

D'autres ordres impliqués

En plus du Collège des médecins, l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec a envoyé une enquêtrice au CEO en janvier. Celle-ci s'est plainte d'un mal de dos et aurait mentionné avoir déjà été traitée dans le passé avec succès par la méthode de l'insertion des doigts au-delà de la marge de l'anus et des grandes lèvres.

Un étudiant du CEO aurait notamment traité le diaphragme de l'enquêtrice avec des pressions directes et des petits pompages et aurait conclu que la cliente n'avait pas besoin de subir la méthode de l'insertion des doigts. Le président de l'Ordre professionnel de la physiothérapie, Denis Pelletier, confirme qu'une enquête est en cours à ce sujet.

L'Ordre des chiropraticiens du Québec (OCQ) a également émis un communiqué la semaine dernière rappelant que les manipulations vertébrales et articulaires ne peuvent être réalisées par les ostéopathes au Québec, augmentant du coup la pression sur les ostéopathes, selon Mme Cantin.

Urgence d'agir

Les démarches des ordres professionnels suscitent de vives inquiétudes chez Ostéopathie Québec. Mme Cantin explique que la profession n'a pas encore d'ordre professionnel et donc que les activités des ostéopathes ne sont officiellement définies dans aucune loi. Mais des démarches sont bien avancées à ce sujet à l'Office des professions. « On reconnait la légitimité des actions des ordres dans ce dossier. Mais on questionne la pertinence d'agir à ce stade-ci, sachant que les travaux de l'Office vont bon train », dit-elle.

Le porte-parole de l'Office des professions du Québec, Stéphan Boivin, confirme que des travaux pour encadrer la profession d'ostéopathes sont en cours depuis 2008. Actuellement, « la solution la plus pertinente semble la création d'un ordre professionnel distinct », affirme M. Boivin, qui ajoute que les travaux ne sont pas terminés.

Directeur général du CEO, Bernard Phylie affirme que l'institution existe depuis 35 ans et qu'aucune plainte de patient ou d'ordre professionnel n'a jamais été enregistrée avant janvier. « Nous sommes terriblement surpris », dit-il, tout en affirmant qu'il est urgent d'encadrer la profession.

Le président de l'Ordre des chiropraticiens, Jean-François Henry, estime que le fait que la pratique de l'ostéopathie ne soit pas réglementée au Québec est « un problème ». 

« On se retrouve avec des plaintes du public à ce sujet et on doit agir pour protéger le public et s'assurer que les actes réservés ne sont faits que par les personnes autorisées », dit Jean-François Henry.

Cet avis est partagé par M. Pelletier.

Les ordres des chiropraticiens et des physiothérapeutes ont tous deux participé à des travaux pour encadrer l'ostéopathie au Québec ces dernières années. Mais les démarches s'éternisent, affirme M. Henry, qui critique « l'inertie de l'Office des professions ». Encore plus urgent, selon M. Henry, l'Office doit revoir la Loi sur la chiropratique, qui n'a pas été modifiée depuis les années 70, une situation qui prend trop de temps à se régler, selon le président.

En attendant que l'ostéopathie ne soit encadrée, Mme Cantin affirme qu'Ostéopathie Québec surveille ses membres. Dans le dossier du CEO, des enquêtes ont d'ailleurs été ouvertes. La directrice générale rappelle que les ostéopathes réalisent plus de deux millions de consultations par an au Québec et que les plaintes de patients sont rares. « Le risque si on attend trop avant d'encadrer la profession, c'est que les ostéopathes retournent à une « pratique underground » pour éviter les ennuis. On ne veut pas ça », conclut-elle.