L'Institut Philippe-Pinel vient d'obtenir de la justice la permission de laisser mourir - avec des soins palliatifs seulement - un schizophrène de 34 ans atteint d'un cancer et qui refuse d'être traité à cause de sa maladie mentale, même si ses chances de survie avec un traitement s'élèvent à 85 %.

Les médecins s'entendent sur le fait que c'est le délire du patient qui le pousse à nier l'existence de sa maladie, mais estiment que la chimiothérapie le perturberait de façon trop importante, en plus d'être physiquement difficile à administrer. Les médecins lui donnent « de six à neuf mois » à vivre. Une situation « déchirante », un dilemme éthique, selon son psychiatre. « C'est une vie qui est en jeu, mais en même temps, c'est la qualité de vie qui était compromise. »

QU'A DÉCIDÉ LA JUSTICE?

La Cour supérieure a accepté la recommandation du psychiatre et de l'oncologue du patient quant à l'administration de soins palliatifs seulement au patient M.E. - dont l'identité est protégée. « Bien que la nécessité du traitement d'un cancer aussi agressif que le sien puisse paraître évidente à première vue et qu'une personne apte choisirait vraisemblablement de le subir », a écrit la juge Lucie Fournier fin septembre, « l'impact psychologique d'un tel traitement sur une personne qui le refuse et la souffrance morale pour un patient qui le subirait comme une agression, en diminue les bénéfices à un point tel qu'il n'y a pas lieu de l'autoriser. » Le personnel médical évaluait qu'avec une chimiothérapie et une radiothérapie pour traiter son lymphome de Hodgkin, il aurait jusqu'à 17 chances sur 20 d'être toujours vivant dans cinq ans.

ON A DONC RESPECTÉ LE REFUS DE TRAITEMENT DU PATIENT?

Pas exactement. M.E. « est inapte » à refuser un traitement, notamment en raison de ses idées délirantes et de son niveau élevé de paranoïa, a déterminé la juge Fournier. Ce n'est donc pas tant son refus d'être traité qui importe que les conséquences de celui-ci : « on risquait d'aggraver gravement » son état mental, a affirmé le psychiatre Gilles Chamberland, chargé du dossier, à La Presse. « Même si c'est à cause d'un délire qu'il refuse d'être traité, il faut en tenir compte. C'est sa réalité à lui. Sa réalité, c'est que si on veut lui imposer des choses (des piqûres, faire entrer des substances dans ses veines) [...] on est en train de vouloir le tuer », a-t-il continué. Le Dr Chamberland est aussi directeur des services professionnels de l'établissement.

EXISTAIT-IL D'AUTRES OBSTACLES AU TRAITEMENT?

Oui. Les médecins s'inquiétaient aussi de leur capacité physique à imposer un traitement intraveineux à un patient qui n'en veut absolument pas. Ce scénario « apparaît difficilement réalisable dans un contexte sécuritaire particulièrement compte tenu de la durée et de la fréquence des soins auxquels le défendeur devrait se soumettre », a écrit la juge Fournier dans sa décision. « Le défendeur devient agressif, menaçant et désorganisé » dès que son cancer est évoqué. Selon Dr Chamberland, il « a clairement énoncé qu'il était prêt à se défendre si on essaie de le traiter ». « On s'acheminait carrément vers des bagarres », a-t-il dit.

LA SITUATION POURRAIT-ELLE CHANGER?

Oui. Le Dr Chamberland assure que l'équipe médicale qui entoure M.E. vérifie très fréquemment son ouverture à un traitement. « On le teste sur une base presque quotidienne », a-t-il dit. « La porte est toujours ouverte. »

EST-CE UNE SITUATION FRÉQUENTE?

Non. Les hôpitaux sont habitués à se présenter devant la justice pour imposer un traitement à un patient qui n'en veut pas ou à demander au juge de valider un refus de traitement d'un patient. Mais « c'est la première fois » que Me Sylvain Guernon, qui représentait Pinel, suggérait à un tribunal de n'administrer que des soins palliatifs. « C'est super triste, c'est très pathétique ce dossier-là », a-t-il dit. « Dans ma pratique, je n'ai jamais vu des enjeux aussi campés » avec un cancer agressif, mais traitable, a affirmé le Dr Chamberland. « Un cas aussi complexe que ça, avec des enjeux aussi importants, moi je n'en avais pas vu à date. » Me Jérôme Dannet, un ancien avocat de M.E. nommé par la juge Fournier pour s'assurer que ses intérêts ne soient pas négligés, a refusé de commenter le dossier en évoquant le secret professionnel.