Depuis quelques années, deux épidémiologistes britanniques, Richard Wilkinson et Kate Pickett, ont popularisé l'idée que les sociétés inégalitaires sont en moins bonne santé, ont plus de crimes violents, des enfants moins bien éduqués, entre autres problèmes, notamment avec leur livre The Spirit Level. Le couple était la semaine dernière à Montréal pour une conférence. La Presse a rencontré le Dr Wilkinson à l'Université Concordia.

Pourquoi les inégalités de revenus rendent-elles malades ?

Les inégalités causent du stress chronique parce que le revenu devient la mesure de la valeur d'une personne. On envie les plus riches et on considère les pauvres comme des moins que rien. Il y a moins de liens sociaux, d'engagement social, plus de méfiance. Les gens se sentent jugés. Ce stress psychosocial mine la santé de tous, pas seulement des pauvres. Avoir des amis est au moins aussi important pour la santé que le fait de ne pas fumer.

L'austérité dans les finances publiques est-elle mauvaise pour la santé publique ?

Si on coupe dans les services publics, on augmente les inégalités. Je ne suis pas un économiste, mais pour diminuer le poids de la dette, on peut soit la réduire, soit augmenter la taille de l'économie. Le Royaume-Uni a mis sur pied l'État providence dans les années 40 alors qu'il était beaucoup plus endetté que maintenant.

Faut-il que tous aient le même salaire ?

Je ne peux pas dire cela. Les sociétés les plus égales sont celles de la Scandinavie. Nous ne savons pas ce qui se passe quand une société devient encore plus égale. Mais la relation entre inégalités et santé de la population semble assez linéaire, donc on peut penser que plus il y a d'égalité, plus il y a de santé.

Beaucoup proposent de lier les salaires au rendement des employés, même dans la fonction publique. Est-ce souhaitable ?

Il est impossible de mesurer la productivité individuelle dans des activités où plusieurs personnes travaillent de concert.

La solution réside-t-elle dans un renforcement des syndicats ?

Les syndicats étaient importants parce qu'ils faisaient contrepoids au pouvoir des riches, de la droite. Mais je crois qu'il est trop tard pour renforcer leur influence. Ceci dit, la baisse des inégalités entre les années 30 et 70 n'est pas seulement due au syndicalisme, mais surtout à la menace du communisme, qui en quelque sorte a été providentiel pour le capitalisme.

Quelle est alors la solution au problème de l'inégalité ?

Il faut augmenter la démocratie économique : avoir des employés sur les conseils d'administration des entreprises, favoriser les entreprises dont les employés sont les propriétaires. Je ne parle pas de nationalisations : le gouvernement ne doit pas être propriétaire, mais plutôt les employés. C'est le prochain grand pas dans le progrès humain. Nous sommes arrivés à la limite des améliorations possibles de la condition humaine seulement avec l'accroissement de la richesse.

Vous parliez des effets bénéfiques du communisme pour les pays capitalistes. Est-il nécessaire pour réduire les inégalités d'enfermer la moitié de la planète dans un système totalitaire égalitariste ?

(Rires) C'est évidemment impossible. Il faut un mouvement social important. Je crois que ça viendra des changements climatiques.

Certains critiques ont souligné que tout comme Thomas Piketty, l'économiste français dont le livre Capitalisme au XXIe siècle dénonçait l'an dernier les inégalités, vous utilisez les revenus avant impôts et transferts sociaux (allocations familiales), et sans tenir compte des dépenses publiques en éducation et en santé.

Nous devons utiliser des données permettant des comparaisons entre pays. Mais généralement, les impôts et les transferts sociaux ne changent pas le palmarès mondial de l'inégalité ni le classement des États américains les plus inégaux.