Plus de la moitié des 91 contrats donnés de gré à gré par l'hôpital Santa Cabrini entre le 1er janvier 2012 et aujourd'hui ont été accordés à des entreprises donnant à la fondation de l'établissement, a appris La Presse en vertu d'une demande d'accès à l'information.

Des 6,9 millions de dollars en contrats accordés de gré à gré durant cette période (cela exclut les contrats à Héma-Québec pour l'achat de produits sanguins), au moins 5 millions l'ont été à des donateurs, soit 72% des dépenses. Environ la moitié des contrats attribués par appels d'offres durant la même période sont allés à des donateurs.

Normalement, il est impossible de connaître les sommes versées par les entreprises aux fondations d'établissements de santé du Québec. La liste des donateurs et des dons est confidentielle. Mais La Presse a obtenu une liste partielle des donateurs de la Fondation Santa Cabrini pour 2012-2013. On y apprend entre autres que:

> la société McKesson, qui a obtenu un contrat de gré à gré de 277 000$ le 10 mai 2012, a donné 15 000$ en commandites un mois plus tôt;

> l'entreprise Médiamed, qui a obtenu des contrats d'une valeur de 179 844$ depuis 2012, a versé au moins 5000$ à la Fondation en 2013;

> la société Logibec a donné au moins 4000$ à la Fondation en juillet 2013. En 2012-2013, l'entreprise a remporté pour plus de 365 000$ de contrats de gré à gré avec l'hôpital;

> finalement, l'entreprise Zimmer, qui fabrique des prothèses orthopédiques, a donné 110 000$ à la Fondation le 21 mai 2013, après avoir remporté un appel d'offres de plus de 1 million de dollars en 2012.

Le porte-parole de l'hôpital Santa Cabrini, Rocco Famiglietti, réplique que «la liste des donateurs de la Fondation Santa Cabrini demeure confidentielle». «Notre Fondation essaie de solliciter toutes les compagnies ou organismes pour les sensibiliser à l'importance du rôle d'une fondation hospitalière et également, lorsque possible, leur demander une contribution à notre Fondation pour améliorer les services et la qualité des soins offerts à nos patients et résidants», dit-il.

Transparence des dons demandée

Les établissements de santé du Québec ne pourraient se passer de l'argent des fondations, affirme le président de l'Association des fondations d'établissements de santé du Québec, Roland Granger. Chaque année, environ 230 millions sont amassés par les quelque 200 fondations de la province. «Et d'ici sept ou huit ans, on va être autour de 700 à 800 millions. Parce que plusieurs grandes campagnes sont en cours», dit-il.

Preuve que les fondations sont essentielles, la «structure de financement de plusieurs projets du ministère de la Santé dans les hôpitaux prévoit du financement des fondations», note M. Granger.

Ce dernier estime qu'il n'y a «aucun lien à faire» entre l'attribution de contrats dans les établissements de santé et les dons aux fondations.

M. Granger mentionne que le milieu philanthropique est «très compétitif», et que c'est pour cette raison que les listes de donateurs restent confidentielles.

Brigitte Alepin, spécialiste en politique fiscale, estime que cet argument de la compétitivité «n'a pas d'allure». «Garder les listes confidentielles, ça n'apporte rien de plus à la population, dit-elle. Même si les donateurs se faisaient plus solliciter, quel serait l'impact sur les gens? C'est un faux argument.»

Doctorante en pensée politique à l'Université Harvard, Emma Saunders-Hastings a publié une recherche intitulée «Vertu du secteur privé et vices du secteur public: la philanthropie qui gouverne». Elle donne fréquemment des conférences sur la philanthropie au Canada.

Selon elle, les dons aux fondations devraient être publics et traités comme les dons politiques. «Les principes qui nous amènent à demander de la transparence et des limites dans les dons aux partis politiques devraient aussi s'appliquer aux dons confidentiels et illimités qui sont faits dans le monde philanthropique», dit-elle.

Selon Mme Saunders-Hastings, «les personnes naïves peuvent penser que les contributions aux partis politiques sont "intéressées", mais que les dons aux fondations d'hôpitaux sont "altruistes". Or, les liens entre les dons aux hôpitaux et les contrats octroyés aux donateurs laissent croire que la distinction n'est pas si simple.»

- Avec la collaboration de Serge Laplante

Aucun lien, assurent les entreprises

Trois fournisseurs de l'hôpital Santa Cabrini estiment qu'il n'y a pas de lien entre les contrats conclus avec le centre hospitalier et les dons qu'ils ont faits à la fondation. Voici leur version.

McKesson

La porte-parole Élizabeth Huart affirme avoir contribué au tournoi de golf de la Fondation de l'hôpital Santa Cabrini pour amasser des fonds pour le centre de cancérologie. Selon Mme Huart, «cette cause s'inscrit dans la mission du programme de responsabilité sociale de McKesson». Mme Huart affirme que son entreprise est «régie par un Code de déontologie très strict qui encadre clairement [ses] pratiques d'affaires afin d'éviter tout conflit d'intérêts potentiel».

Zimmer Canada

Représentant de l'entreprise pour le Québec, Ron McCarthy précise que Zimmer a remporté un important appel d'offres à l'hôpital Santa Cabrini en 2012-2013. «Ça représente des ventes de plus de 1 million. On a offert le meilleur prix, et de loin. Après avoir remporté l'appel d'offres, le directeur général [de l'hôpital] nous a envoyé une lettre nous demandant ce qu'on pourrait faire pour la recherche en orthopédie. On a donné 110 000$ pour financer la recherche», dit M. McCarthy, qui assure avoir «suivi les principes éthiques serrés» de son entreprise.

Médiamed

«Notre politique au niveau des commandites et des dons est de participer à des événements sollicités par nos clients actuels. Nous ne faisons donc pas de commandites dans le but d'obtenir quoi que ce soit, assure la directrice des ventes de Médiamed Technologies, Josée Lanoue. Toutes les commandites offertes l'ont été après l'obtention de contrat.»

Logibec

Le vice-président ventes et marketing de Logibec, Ivan Lagacé, assure ne pas avoir obtenu de contrat à Santa Cabrini à la suite de dons. « Nous croyons qu'il est important pour une entreprise comme la nôtre de contribuer financièrement à des organismes de bienfaisance qui sont impliqués dans le domaine de la santé », dit-il.