Une quarantaine d'hôpitaux de la province font face à une pénurie d'effectifs grave, au point où ils doivent faire appel à des médecins spécialistes itinérants pour éviter des ruptures de service.

«On gère la pauvreté. On choisit où il va y avoir des bris de service parce qu'on n'a pas assez de monde pour tout couvrir partout», déclare le président de l'Association des anesthésiologistes du Québec, le Dr Claude Trépanier.

L'anesthésiologie est l'une des spécialités où la pénurie fait le plus mal. C'est le cas également dans cinq autres spécialités de base, soit la radiologie diagnostique, la chirurgie générale, l'obstétrique-gynécologie, la pédiatrie et la psychiatrie.

Le manque d'effectifs touche les 35 spécialités de la médecine, mais la pénurie qui frappe les spécialités de base a des conséquences importantes. C'est le fonctionnement de l'hôpital au complet qui est mis en péril.

«Un hôpital sans anesthésiologiste s'appelle un CLSC», illustre le Dr Trépanier.

«La pénurie n'est pas égale d'une spécialité à l'autre. Dans notre profession, nous sommes toujours appelés à gérer des crises de service. S'il n'y a pas de radiologie, les urgences menacent de fermer», renchérit le président de l'Association des radiologistes du Québec, le Dr Frédéric Desjardins.

Lettres d'entente

Pour éviter le pire, le ministère de la Santé et des Services sociaux a signé il y a plusieurs années des lettres d'entente avec les diverses associations de médecins.

Dans une douzaine de spécialités, ces ententes permettent aux hôpitaux en difficulté de faire appel à des médecins itinérants qui viennent donner un coup de main de façon temporaire.

En reconnaissant le besoin criant dans une spécialité, le Ministère accepte aussi de verser une rémunération majorée et diverses primes au médecin itinérant. Chaque année, le Ministère débourse environ 67 millions pour éviter des ruptures de service.

Actuellement, une soixantaine d'hôpitaux ont en main de telles lettres d'entente, dont certains à Montréal et Québec, mais leur nombre varie constamment au gré des crises. Le Ministère reconnaît une pénurie grave d'effectifs dans une quarantaine d'entre eux, surtout en région éloignée.

L'hôpital de Sept-Îles en fait partie. Au cours des dernières années, l'établissement a fait appel à des médecins itinérants en chirurgie générale, en obstétrique, en médecine interne, en psychiatrie. Cette fois, la crise touche l'anesthésiologie.

En l'espace de quelques mois, le service est passé de quatre anesthésiologistes à un seul. «La seule façon d'attirer des médecins et de les inciter à rester, ce sont les lettres d'entente. Elles nous aident à acheter du temps pour reconstruire nos services», explique le directeur général de l'hôpital, Martin Beaumont.

Les lettres d'entente agissent comme un cataplasme et permettent de régler les crises majeures. Mais elles ont un effet pervers, souligne le Dr Frédéric Desjardins, radiologiste. «Il est très difficile de les retirer une fois qu'elles ont été accordées, car c'est vu comme une baisse de salaire. Les médecins menacent d'aller ailleurs.»

Au-delà des lettres d'entente, les équipes sont réduites partout, rappelle pour sa part la présidente de l'Association des pédiatres du Québec, la Dre Thérèse Côté-Boileau. Il est difficile d'en demander plus lorsqu'un médecin est déjà de garde un soir sur deux ou sur trois, comme c'est le cas en plusieurs endroits, dit-elle.

«Nos équipes sont tellement restreintes qu'il suffit qu'un seul médecin tombe malade ou parte en congé de maternité pour qu'il y ait une crise de couverture», note la Dre Côté-Boileau.

Avec la hausse du nombre d'admissions en médecine, plusieurs croient que le pire est passé. Mais les jeunes ne veulent plus travailler comme leurs prédécesseurs. Il faudra encore plusieurs années avant de retrouver l'équilibre, estime le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, le Dr Gaétan Barrette.

«Le verre commence à se remplir, mais d'une manière inégale d'une région à l'autre et d'une spécialité à l'autre», dit-il.

Les lettres d'entente ne règlent pas non plus les pénuries dans les autres spécialités, qui ont des conséquences moins désastreuses sur le fonctionnement d'un hôpital mais qui entraînent des désagréments pour la population. Il s'agit de spécialités comme l'ophtalmologie, l'urologie et la dermatologie.

Accès difficile en région

En plusieurs endroits, des médecins spécialisés se déplacent des grandes villes vers les régions à raison d'une fois par mois ou aux deux mois pour voir les patients.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux parle pour sa part d'indice d'accessibilité. Il évalue si la population a accès à des soins, mais également si la région se suffit à elle-même. En périphérie de Montréal, beaucoup de patients doivent ainsi se déplacer vers la métropole pour obtenir des soins ultra-spécialisés.

Dans les régions éloignées, les hôpitaux doivent compter sur un bassin diversifié de médecine spécialisée, sans quoi les patients sont envoyés vers Montréal ou Québec, avec tous les désagréments que cela comporte.

«Quand on est dans une région éloignée, qu'on a un accès en dessous de la moyenne et qu'on a une autosuffisance en dessous de la moyenne, ça veut dire qu'on est en situation de pénurie relative», explique le directeur de la main-d'oeuvre médicale au Ministère, Daniel Poirier.