Morphine, anticoagulants, antibiotiques, médicaments contre le cancer, alouette: un nouvel épisode de pénuries de médicaments risque de toucher les patients québécois au cours des prochains mois. Et celui-là s'annonce particulièrement préoccupant.

Le problème se trouve à l'usine de médicaments génériques de Sandoz, à Boucherville, qui doit interrompre sa production parce que ses opérations ne répondent pas aux normes de l'industrie.

Dans une lettre envoyée aux pharmaciens cette semaine et que La Presse a obtenue, Sandoz avertit qu'elle devra interrompre sa production de médicaments, dont plusieurs sont considérés comme essentiels pour les hôpitaux québécois. Ces arrêts découlent d'inspections faites par la Food and Drug Administration (FDA), l'agence américaine de santé publique, qui avait relevé des pratiques déficientes à l'usine de Boucherville en novembre dernier.

Une pénurie «préoccupante»

Les épisodes de ruptures de stock de médicaments se sont multipliés au cours des dernières années au Québec, mais celui-ci est jugé «particulièrement préoccupant» par Diane Lamarre, présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec. C'est que Sandoz fabrique surtout des médicaments injectables, notamment des analgésiques utilisés dans les salles de chirurgie. Pour certains produits, l'entreprise est carrément le seul fournisseur des hôpitaux québécois.

«Il y a une dimension particulière à cette pénurie. On ne parle pas juste d'un ou deux produits. C'est significatif, nous sommes préoccupés et il y a un sentiment d'urgence», a dit Mme Lamarre à La Presse.

«On parle de produits destinés à des patients vulnérables qui sont dans des états critiques. Cette fois-ci, ça prend une portée de santé publique», a ajouté Mme Lamarre.

Jean-François Bussières, chef du département de pharmacie à l'hôpital Sainte-Justine, qualifie aussi la pénurie de «très préoccupante», mais incite à ne pas dramatiser la situation.

«Il va falloir des efforts soutenus et substantiels pour gérer la situation. Est-ce qu'on va y arriver? La réponse est oui», dit-il.

Bien souvent, même si un médicament est introuvable, les pharmaciens pourront le remplacer par un autre. Il y a cependant un risque que ce substitut se retrouve à son tour en rupture de stock, provoquant un effet domino.

Dans sa lettre envoyée aux pharmaciens, Sandoz spécifie que «tous les processus de fabrication seront touchés, ce qui réduira substantiellement le débit de production de notre usine de Boucherville et entraînera vraisemblablement des ruptures temporaires dans l'approvisionnement de certains produits.»

«On comprend des discussions qu'on a eues que c'est une situation préoccupante qui pourrait durer facilement une année et demie», a affirmé M. Bussières.

Malgré nos demandes répétées, il a été impossible d'obtenir une entrevue avec le président et directeur général de Sandoz Canada, Michel Robidoux.

L'entreprise s'est contentée d'une déclaration écrite calquée sur la lettre envoyée aux pharmaciens.

«Nous consacrerons toute la capacité disponible de l'usine de Boucherville à la production de médicaments injectables essentiels afin que les patients atteints de maladies graves continuent de recevoir un traitement adéquat», écrit Sandoz Canada, qui se dit «confiante de l'innocuité, de l'efficacité et de la qualité» de ses produits.

«Manquements significatifs»

Dans une lettre adressée en novembre dernier à la direction de Novartis, la multinationale suisse propriétaire de Sandoz, la Food and Drug Administration reprochait des «manquements significatifs» aux bonnes pratiques de fabrication dans trois installations de Sandoz, dont celle de Boucherville.

Les autorités soulignaient notamment l'emploi de procédures inadéquates pour vérifier la stérilité des échantillons. Elles critiquaient aussi la présence fréquente de cristaux dans les lots de certains médicaments.

Diane Lamarre, de l'Ordre des pharmaciens du Québec, estime que l'heure est venue de réagir aux ruptures de stock de plus en plus nombreuses qui frappent la province.

«Il va falloir qu'il y ait des décisions gouvernementales. Personne ne se sent imputable de ces problèmes, mais Santé Canada a des initiatives majeures à prendre», a-t-elle dit.