Maurice Richard a peut-être reçu la punition qu'il méritait et la Révolution tranquille ne résume pas les années 60, affirment dans leur livre An Illustrated History of Quebec, paru à la prestigieuse Oxford University Press, deux historiens canadiens-anglais des universités Concordia et de Colombie-Britannique. La Presse s'est entretenue avec Peter Gossage, l'un des auteurs, qui est né à Montréal.

Q Les immigrés ont-ils plus de difficulté à sentir qu'ils font partie de la société au Québec qu'ailleurs en Amérique du Nord?

R Je crois que oui. Les Québécois d'origine française, pour reprendre l'expression de Jocelyn Létourneau, sont à la fois une minorité et une majorité. Je voulais évoquer les défis de l'identité québécoise. Si ce n'est pas autour des origines françaises, oui, on peut s'entendre sur la langue commune, la langue d'usage, mais n'y a-t-il pas un défi de dire ça aux gens qui s'identifient d'abord comme canadiens, par exemple les anglophones?

Q Vous écrivez à propos de la célèbre punition décernée à Maurice Richard en 1955 qu'elle n'était peut-être pas la preuve d'un préjugé antifrancophone.

R Je ne suis pas le premier à dire ça. Maurice Richard est devenu l'un des mythes fondateurs de la Révolution tranquille. Je ne veux pas nier l'importance de ce sentiment. Dans mes cours à Concordia, on examine le pour et le contre. Il y a des étudiants en faveur de Maurice Richard et d'autres qui trouvent que c'est une punition minime en raison du geste commis. Et il y a des francophones dans mes cours.

Q Comment la communauté anglophone a-t-elle réagi à votre livre?

R Après la publication d'une recension dans TheGazette la fin de semaine dernière, des lecteurs m'ont traité de traître parce que je ne condamne pas le nationalisme. Mais je ne prends ni la perspective misérabiliste ni la vision jovialiste qui considère que tout va bien et que la conquête britannique a été très bonne pour le Québec.

Q Souscrivez-vous à la thèse de l'historien ontarien Michael Gauvreau selon laquelle la Révolution tranquille n'est pas une cassure, mais un mouvement antérieur qui a ses origines dans la culture catholique?

R Je suis assez d'accord avec lui. C'est pour ça que nous avons intitulé un chapitre «La Grande Noirceur?» avec un point d'interrogation. Je me suis amusé à me demander si on pouvait parler des années 60 sans utiliser la métaphore de la Révolution tranquille. On s'est servis de l'idée, mais pas au coeur du chapitre. Tout le monde croit comprendre ce que c'est, mais il y a plusieurs manières de la concevoir.

Q Le Québec est-il plus à gauche en réaction à l'Église catholique ou à cause d'elle?

R L'Église était contre l'État interventionniste et condamnait les idées de gauche que réprimait Duplessis. Alors il y a de la réaction. Mais il y a un élément de vérité à noter: les Québécois, tout comme l'Église, sont interventionnistes sur le plan social. Ce côté interventionniste, cette confiance envers l'État, est de plus en plus un élément de l'identité québécoise, une croyance, une foi même.

Q L'élection de nombreux députés néo-démocrates signifie-t-elle que le Québec se prépare à recommencer à jouer un rôle sur le plan fédéral?

R C'est vrai. On peut voir un parallèle avec Mulroney qui a bâti une coalition entre les conservateurs de l'Ouest et les nationalistes québécois. Mais il est trop tôt pour le dire.

Q Qu'est-ce qui vous frappe dans la campagne électorale actuelle?

R L'amertume. Elle empêche les débats plus éclairés et productifs d'avoir lieu. Il y a depuis 36 ans une rotation entre le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral (PLQ). Avant, il y avait eu 40 ans d'alternance entre le Parti libéral et l'Union nationale. Est-ce qu'un nouveau parti prendra la place du PQ ou du PLQ? Je suis historien, alors je n'ai pas de boule de cristal.