Depuis presque cinq ans, pendant que les Montréalais dorment sur leurs deux oreilles, une quarantaine de policiers visitent les bars, clubs de danseuses nues et «afterhours» partout dans l'île. Ils questionnent les propriétaires, gérants et clients, interpellent, fouillent, saisissent, observent et notent. Ce sont les 46 policiers et policières de l'escouade Éclipse, créée au printemps 2008 grâce à une subvention de près de 100 millions sur cinq ans que le gouvernement fédéral verse au Québec.

Or, en octobre dernier, le ministre canadien de la Sécurité publique, Vic Toews, a annoncé que la subvention ne serait pas renouvelée. Dès la fin de l'hiver, la survie de la brigade Éclipse et d'autres escouades mixtes de lutte contre les gangs de rue, notamment à Laval et à Longueuil, est menacée.

Certains diront que l'escouade Éclipse a été créée dans le contexte où les meurtres liés aux gangs de rue se succédaient à Montréal dans une atmosphère de Far West, au début de 2008, et que les choses se sont passablement calmées depuis.

D'autres rappelleront des critiques légitimes provoquées par les écarts de conduite de policiers de l'escouade, qui ne font pas toujours dans la dentelle et qui, depuis cinq ans, ont parfois traversé la ligne du profilage racial.

Ces problèmes ont obligé Marc Parent, chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), à redresser le tir et à modifier le mandat de l'escouade. Depuis, Éclipse a beaucoup évolué pour devenir un formidable outil de prévention du crime à Montréal.

Des chiffres qui parlent

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Seulement cette année, les policiers et policières de cette escouade «mal-aimée» ont enquêté sur 3500 personnes et en ont arrêté près de 500. Ils ont saisi plus d'une douzaine d'armes à feu, une dizaine d'armes blanches et sept gilets pare-balles.

Mais, surtout, Éclipse ne se résume plus à la lutte contre les gangs de rue et constitue une profonde épine dans le pied des mafiosi, motards et autres membres du crime organisé. Ses policiers sont devenus les yeux et les oreilles de la Division du renseignement de la police de Montréal - et le renseignement, c'est le nerf de la guerre.

Éclipse fait maintenant partie du «décor nocturne» de Montréal pour les criminels, et il s'est établi une certaine forme de «cohabitation obligée» entre les deux camps.

Les policiers connaissent et reconnaissent «les sujets d'intérêt»; l'observation de la simple présence de l'un d'eux, en compagnie de tels individus d'un tel groupe, dans un établissement contrôlé par tel clan, est d'une importance capitale pour les corps policiers, pas seulement le SPVM, mais aussi pour la Gendarmerie royale du Canada, la Sûreté du Québec et les autres, qui peuvent ainsi bénéficier d'une meilleure lecture de l'environnement criminel en cette période de grande instabilité qui perdure.

Son tableau de chasse

Ce sont les policiers d'Éclipse qui, au début du mois de novembre, dans un bar de danseuses du centre-ville de Montréal, ont arrêté, avec des armes, Benjamin Hudon-Barbeau et Ryan Wolfson. Ce dernier est accusé de deux meurtres et de trois tentatives de meurtres commis l'automne dernier dans les Laurentides.

On ne compte plus les fois où les policiers d'Éclipse ont interpellé, entouré de ses gardes du corps, le redoutable soldat des Hells Angels Gregory Woolley, une importante carte dans la manche du parrain déchu Vito Rizzuto, selon la police.

Enfin, un autre «habitué» de l'escouade Éclipse a été Shane Kenneth Maloney, arrêté le 2 novembre avec une centaine d'autres personnes dans le cadre d'une importante opération de la Sûreté du Québec baptisée Loquace.

Les policiers d'Éclipse ont joué un rôle important dans la préparation de cette opération, puisqu'ils ont enquêté plus d'une fois sur Maloney et ses présumés complices.

Organisations sophistiquées

Au dire des policiers, Maloney et son groupe auraient formé l'un des plus importants réseaux d'importateurs de cocaïne du Canada. Ils seraient l'illustration parfaite des nouvelles organisations criminelles sophistiquées et riches auxquelles les forces de l'ordre doivent maintenant faire face.

Des organisations criminelles de plusieurs allégeances, qui travaillent main dans la main, utilisent des systèmes de communication à la fine pointe et débordent continuellement les limites du territoire québécois - elles se déplacent aisément d'un bout à l'autre du pays et se rendent dans les pays du sud et en Europe.

Dans ce contexte, quelques scènes observées dans les coins sombres de bars à la mode, au coeur d'une ville qui constitue une plaque tournante du trafic de stupéfiants au pays, prennent toute leur importance. Tous ces facteurs devront être pris en considération avant de décider si les astres sont suffisamment bien alignés pour qu'Éclipse soit dissoute.