C'est en travaillant pour lui dans son centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) que Francine Desormeaux a rencontré l'homme qu'elle accuse de son malheur.

Elle est catégorique. C'est Dejean Victor, un homme bien connu de la communauté haïtienne montréalaise et soupçonné de trafic de drogue, qui lui a demandé de rapporter le paquet contenant de la cocaïne en mars 2011 alors qu'elle séjournait en Haïti pour parrainer quelqu'un. M. Victor n'en était pas à sa première tentative.

En décembre 2009, le citoyen canadien d'origine haïtienne a été arrêté avec son frère pour trafic de drogue à l'aéroport de Port-au-Prince. Ils s'apprêtaient à revenir au Québec avec 2,35 kg de cocaïne et ont été incarcérés à la prison de Port-au-Prince en attendant de se présenter en cour. Le 12 janvier, jour du séisme meurtrier en Haïti, Victor se serait évadé à la faveur de l'effondrement de la prison, selon les informations du défunt site web Rue Frontenac. Il aurait réussi à rentrer au pays à bord de l'un des avions qui rapatriaient les ressortissants canadiens.

Il a alors continué à gérer ses nombreuses entreprises. Mme Desormeaux a travaillé comme préposée aux bénéficiaires au Pavillon Marquette, une résidence pour personnes âgées du Plateau Mont-Royal dont il était propriétaire, jusqu'à ce que l'établissement soit fermé d'urgence en janvier 2011 par les autorités sanitaires montréalaises parce que les pensionnaires y étaient mal traités. Elle a aussi travaillé comme serveuse au Buffet Cristina, une autre entreprise de M. Victor située à Saint-Léonard qui a aussi fermé ses portes.

Mme Desormeaux affirme que c'est à la demande de son patron qu'elle a accepté de porter une culotte spéciale communément appelée «kotex haïtien». Selon le tribunal de ce pays, c'est la femme de Dejean Victor elle-même, Merlande Dont Victor, alors de passage à Port-au-Prince, qui aurait remis l'objet à Mme Desormeaux en lui demandant de le porter en retournant chez elle. Cette dernière jure qu'elle a vraiment cru qu'il s'agissait seulement d'un objet pour la pratique du vaudou. «M. Victor et son épouse m'ont demandé un service. Comme c'était mon patron, j'ai accepté», dit-elle.

Si le tribunal haïtien n'a pas cru à son innocence, il a toutefois reconnu la culpabilité du couple Victor, déjà bien connu des autorités du pays, dans cette affaire.

Dans le cadre du procès de Mme Desormeaux, le juge a déclaré Merlande Dont Victor «rebelle à la loi» pour son rôle dans le trafic. Il a aussi statué que «les faits ont prouvé que la drogue était destinée à Dejean Victor et à son frère».

Mais alors que la Québécoise a été condamnée à 15 ans de prison, les Victor s'en sont sortis et coulent des jours paisibles au Canada. Dejean était resté à Montréal au moment des faits, Merlande serait revenue au pays à temps. Les autorités n'ont pu que «suspendre ses droits de citoyenne haïtienne».

Malgré plusieurs tentatives, il nous a été impossible de joindre Dejean Victor et sa femme dans le cadre de ce reportage. L'homme a fermé toutes les entreprises qu'il possédait à Montréal et a été forcé par un juge de vendre sa maison cossue du boulevard Gouin, en octobre dernier, pour cause de mauvais paiements. Selon son avocat, Aaron Lechter, qui n'a plus de nouvelles de son client depuis près d'un an, M. Victor aurait quitté le Québec pour peut-être s'installer en Ontario.

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Les prisons haïtienne en chiffres

Population carcérale: 7920 détenus (mars 2012), répartis dans 16 prisons civiles.

>Quatre commissariats de police ont été convertis en prison.

>De 1995 à 2012, la population carcérale a augmenté de 250%.

>70% de la population carcérale est détenue de façon préventive, c'est-à-dire sans avoir eu un procès et reçu un jugement.

>275 détenus sont morts du choléra depuis l'apparition de la maladie en janvier 2010.

>La «bastonnade»: une technique de torture visant les détenus qui ont commis des crimes sexuels et des meurtres. On enferme le détenu, qu'il ait été jugé ou non, dans une pièce fermée pour le battre avec un bâton.

>Enfants et adultes sont détenus dans les mêmes cellules.

>85% des mineurs en prison sont détenus de façon préventive et n'ont toujours pas eu de procès.

>Sur six prisons visitées par le Réseau national pour la défense des droits de l'homme, seulement une avait un programme d'alphabétisation pour les enfants.

>Surface globale de l'ensemble des prisons: 3455 m2, ce qui donne une superficie moyenne de 0,48 m2 par détenu.

>Selon ces chiffres, le taux de surpopulation est supérieur de 400% aux normes établies par la Croix-Rouge.

>À la prison de Jacmel, une cellule typique mesure 20 m2, où l'on entasse plus de 30 détenus disposant d'un seul lit superposé. Les détenus y dorment à tour de rôle sur un cycle d'une journée.

SOURCE: Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH)