Piqué au vif par certains agissements de la poursuite, un juge a permis à Guercy Edmond, ce chauffeur de taxi qui a roulé sur le corps d'un homme de 23 ans avec sa voiture, de recouvrer la liberté d'ici son procès.

Le juge Jean-Pierre Boyer s'est fâché contre la procureure de la Couronne Josiane Laplante, hier, lorsqu'il a appris que la poursuite a autorisé le dépôt de «quatre graves accusations» contre le chauffeur sans voir les vidéos de la scène tournées par des témoins avec leurs portables et diffusées sur YouTube.

La police a saisi ces téléphones, mais les vidéos n'en ont toujours pas été extraites. Elles ne sont donc pas encore en preuve.

«Tout le Québec a vu le vidéo. Moi, je l'ai vu à la télévision, puis l'accusé ne l'a pas vu. Ça n'a aucun sens», a dit le magistrat. «Rien ne justifiait votre détention de quatre jours. Je trouve cela scandaleux», a-t-il ajouté en regardant

M. Edmond.

Le magistrat s'est dit «convaincu» qu'il y avait de la «panique» dans les gestes faits par l'accusé dans la nuit du drame.

L'accusé a craint pour sa vie

À sa sortie du palais de justice, hier en fin de journée, l'homme de 47 ans a insisté sur le fait qu'il avait craint pour sa vie la nuit du drame. Il se décrit comme une victime. «Je ne me suis pas rendu compte que je venais de passer sur quelqu'un. Je voulais tout simplement fuir les lieux pour aller chercher le secours de la police», a-t-il indiqué à un journaliste de TVA.

L'homme sans antécédent judiciaire était détenu depuis dimanche. Lundi, il a été formellement accusé de voies de fait graves, de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, de délit de fuite et de voies de fait armées au palais de justice de Montréal.

Hier, la poursuite a précisé au juge qu'elle ne s'opposait pas à la mise en liberté de l'accusé, mais qu'elle ne s'entendait pas avec la défense sur les conditions à y assortir.

Le juge a tranché: le chauffeur n'aura plus le droit de faire monter des clients sur le boulevard Saint-Laurent entre 21h et 6h. Sa femme, Yvette Fatal, a signé un engagement sans dépôt de 3000$.

Des vidéos qui ne montrent pas tout

Plus tôt à l'audience, le sergent-détective Frédéric Gagné, de la police de Montréal, a indiqué que les vidéos où l'on voit le chauffeur de taxi rouler sur le corps du jeune homme ne montrent pas tout. Le juge a alors répliqué avec un brin d'ironie qu'il devait se fier à son témoignage.

L'accusé a tenté une première fois de heurter «délibérément» la victime avec sa voiture, bien avant de lui passer sur le corps, a indiqué le policier. Le chauffeur a raté sa cible et heurté un lampadaire, ce qui explique que le pare-chocs avant de la voiture de taxi était déjà endommagé, selon ce que l'on voit sur les vidéos.

Les vidéos diffusées sur YouTube montrent «la seconde partie de l'événement». «À plusieurs reprises, l'accusé avait l'occasion de quitter les lieux», a précisé l'enquêteur.

Vers 3h40, dimanche, trois jeunes hommes, dont la victime, tous «en état d'ébriété avancé», sont montés dans le taxi de M. Edmond à l'angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Milton. La circulation était dense et les clients se sont plaints du fait que la voiture n'avançait pas alors que le taximètre tournait.

M. Kapelli, assis à l'avant, aurait proféré des insultes racistes en disant au chauffeur: «Vous, dans votre pays, vous excisez les femmes.» Il aurait ensuite frappé l'accusé d'un coup de poing au thorax avant de sortir du taxi, suivi de ses deux amis. Le taximètre indiquait 9$, selon le chauffeur. Les jeunes clients parlent plutôt de 5$.

Les clients auraient donné des coups de pied sur la voiture, puis le chauffeur serait sorti du véhicule, un balai à neige et une bouteille de verre dans les mains. Il aurait lancé la bouteille en direction de M. Kapelli. «Il y a eu bousculade de part et d'autre», a raconté l'enquêteur.

Le chauffeur est remonté dans sa voiture. C'est à ce moment qu'il aurait foncé une première fois sur la victime et qu'il aurait heurté un lampadaire.

Après cela, des gens ont commencé à filmer la scène. Certains ont crié: «Il est fou. Il est malade», en parlant du chauffeur.

Une personne - qui n'a rien à voir avec les trois clients - a sauté sur le capot du taxi. Puis, on voit M. Kapelli tenter de donner un coup de pied sur la voiture. C'est là qu'il tombe et se fait passer sur le corps. Il a deux côtes fracturées, la rate et la vessie perforées, des lésions aux poumons ainsi que quelques contusions à l'abdomen.

L'accusé, chauffeur de taxi depuis huit ans, doit retourner en cour le 20 juin. Il est défendu par Me Yves Vaillancourt.