Des pièces de plastique provenant d'un phare, des éraflures sur le ciment, le journal personnel que tenait Rona Amir, des photos tirées de téléphones portables montrant de belles adolescentes souriantes ou qui se composent une «attitude», une rédaction d'Ahmed Shafia sur l'importance de conserver ses traditions en pays d'accueil...

Comme un immense puzzle qui reste à assembler, le premier témoin appelé à la barre au procès Shafia, la technicienne en scène de crime Julia Moore, de la police de Kingston, a étalé quantité de photos et pièces à conviction au cours des deux derniers jours, devant le jury chargé de juger les trois Shafia. Mohammad Shafia, 58 ans, sa femme Tooba, 41 ans, et leur fils Ahmed, 20 ans, sont accusés d'avoir tué avec préméditation quatre femmes de leur famille. Rona Amir Mohammad, 53 ans, première femme de Mohammad, ainsi que Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, et Geeti, 13 ans, filles de Mohammad et Tooba, ont été trouvées noyées dans une voiture au fond de l'écluse de Kingston Mills, vers 9h, le matin du 30 juin 2009.

Des élémens concrets

Le laborieux exercice auquel s'est livrée Mme Moore permet à la Couronne d'asseoir sa preuve sur des éléments concrets. Plans éloignés, plans rapprochés, vue à vol d'oiseau, vidéo, tout a été photographié, mesuré, répertorié.

Les photos ont entraîné les jurés tantôt sur le lieu historique des écluses de Kingston Mills, où la voiture des victimes a sombré, tantôt dans les chambres 18 et 19 du Kingston Motel East, où la famille Shafia est allée la nuit fatidique, ou encore dans le domicile familial de la rue Bonnivet, à Saint-Léonard. Une fois à Montréal, le photographe a fait un détour vers un stationnement entouré par une barrière jaune en métal. C'est contre cette clôture qu'Ahmed, fils accusé, serait venu foncer volontairement avec la Lexus grise de son père, tôt le matin du 30 juin 2009, pour tenter de faire croire que les dommages à l'avant de la voiture avaient été causés à cet endroit, et non en frappant l'arrière de la Nissan Sentra, à Kingston. Après avoir frappé cette barrière jaune, Ahmed a appelé le 911 pour signaler la collision, a expliqué la procureure de la Couronne, Laurie Lacelle, lors de son exposé d'ouverture, jeudi.

Les corps dans la voiture

Vendredi, Mme Moore a aussi informé le jury sur la place qu'occupait chacune des victimes dans la Nissan Sentra engloutie. C'est Geeti, 13 ans, la plus jeune des quatre, qui se trouvait à la place du conducteur. En fait, la jeune fille flottait au-dessus du siège, un bras entourant l'appuie-tête et le visage tourné de côté, vers la barre qui séparait les deux portières. Zainab flottait pour sa part au-dessus du siège passager avant, le dos contre le toit de la voiture. Les deux autres victimes étaient assises sur la banquette arrière: Sahar du côté du conducteur, et Rona au milieu de la banquette. La femme n'avait pas ses sandales aux pieds, a expliqué Mme Moore, mais celles-ci étaient dans la voiture. Les femmes étaient habillées.

La disposition des corps dans le véhicule pourrait avoir de l'importance au cours du procès. Lorsque le drame est survenu, les parents Shafia avaient fait valoir qu'il s'agissait d'un accident dû à la témérité de Zainab. Selon eux, cette dernière avait pris la voiture sans permission, même si elle ne savait pas conduire.

Le deuxième témoin appelé à la barre, Brent White, a été le premier policier arrivé sur les lieux, le matin du 30 juin 2009, à la suite de l'appel d'un employé des écluses qui a signalé une voiture engloutie. Il y avait des corps à l'intérieur. La barrière qui empêche les véhicules d'accéder aux écluses était en place. Vu la configuration des lieux, qui rendait l'accès très difficile, M. White a immédiatement pensé qu'il s'agissait d'un geste délibéré. Soit un suicide, soit un crime.

Le procès se poursuit la semaine prochaine. Rappelons que le drame s'est produit lorsque la famille Shafia revenait d'un voyage à Niagara Falls. La théorie de la Couronne est que le père, la mère et le fils ont éliminé les quatre femmes de leur famille parce qu'elles contestaient l'autorité et voulaient vivre plus librement.