Jacques Daoust est contredit par son ancien chef de cabinet, Pierre Ouellet. Ce dernier a déclaré en commission parlementaire que M. Daoust a bel et bien été informé de la vente des actions de RONA par Investissement Québec à la fin de 2014. Pour l'opposition, il est clair que M. Daoust « a menti ».

Pierre Ouellet a ajouté que le ministre de l'Économie à l'époque lui a dit le 26 novembre 2014 : « La décision (de vendre les actions) relève de la compétence du conseil d'administration d'Investissement Québec, ils devront vivre avec les conséquences ». Il a ajouté que M. Daoust « n'était pas favorable » à la transaction.

Dans sa lettre de démission, M. Daoust écrivait : « Je n'avais pas été informé de l'intention des administrateurs de vendre la participation d'Investissement Québec dans RONA, je n'ai pas donné d'autorisation à celle-ci et je n'avais pas à le faire en raison des règles en vigueur chez Investissement Québec. »

Selon M. Ouellet, Jacques Daoust connaissait l'intention du CA d'IQ de liquider les actions dans Rona dès le 17 novembre.

Investissement Québec est convaincu d'avoir obtenu l'accord de Jacques Daoust pour liquider la totalité de ses actions dans RONA à la fin de 2014. 

Lors de son passage devant une commission parlementaire spéciale, Yves Lafrance, vice-président d'IQ mais surtout PDG par intérim au moment de la transaction, a raconté le processus ayant mené à la vente.

Lors d'une réunion le 17 novembre, les membres du conseil d'administration ont discuté de façon spontanée de l'idée de se départir des 11 millions d'actions dans RONA. Ces actions avaient été achetées à l'été 2012, à la demande du gouvernement Charest, pour contrer une offre d'achat hostile du détaillant américain Lowe's.

Deux ans plus tard, « le contexte a évolué », l'offre hostile a été retirée, et « le danger semble écarté » puisqu'on a aucune nouvelle de Lowe's, a raconté M. Lafrance. Surtout, l'investissement de 156 millions de dollars dans RONA est « lourd » dans le portefeuille d'IQ, ce qui réduit sa marge de manoeuvre. Le conseil d'administration a donc décidé de vendre les actions sous réserve de la consultation préalable du ministre, comme en témoigne une résolution.

« Vendre la totalité des actions, c'est un changement de cap » par rapport à l'orientation initiale du gouvernement, « et c'est pourquoi on va consulter avant de donner suite »,  a expliqué M. Lafrance. « Il a été décidé de consulter le ministre non pas pour avoir un accord formel, on n'avait pas besoin de ça, mais pour connaître sa position par rapport à la transaction et s'il avait des objections qu'il les fasse savoir. »

Yves Lafrance soutient que « probablement » dès le lendemain, le 18 novembre, - et c'est un fait nouveau dans cette histoire - il a téléphoné à Pierre Ouellet, chef de cabinet de M. Daoust, ministre de l'Économie. C'était pour lui « expliquer la situation très clairement » et obtenir l'avis du ministre lui-même. « Ça ne pouvait pas être plus clair que ça. Je n'ai pas l'habitude de parler de façon ambiguë », a-t-il insisté devant les députés. « Quand on parle au chef de cabinet, on présume que lui parle avec son ministre. C'est la façon dont on fonctionnait. » Il a ajouté que le chef de cabinet n'a pas l'habitude de prendre des décisions lui-même et qu'il consulte le ministre pour donner l'heure juste à IQ, ce qui est fait dans de nombreux dossiers.

Le 26 novembre 2014, Yves Lafrance, demande au chef de cabinet de M. Daoust, Pierre Ouellet, de « confirmer par retour de courriel que le (ministère) est en en accord avec cette vente » des actions de Rona. Par « ministère », lorsque l'on s'adresse au chef de cabinet, on entend toujours le ministre, a dit M. Lafrance. La réponse est venue un peu plus de deux heures plus tard. « OK », écrit M. Ouellet.

« Si le chef de cabinet nous répond c'est OK, qu'il prend la peine (dans un courriel précédent) de dire qu'il va nous revenir as soon as possible, je présume qu'il est allé consulter quelqu'un. J'imagine que c'est son supérieur », a dit M. Lafrance. Selon lui, « on est chanceux d'avoir un courriel » dans cette affaire, puisqu'on ne passe pas par des écrits généralement. « Autrement, je pense que ce ne serait pas une journée facile », a-t-il dit. Il ignore si le premier ministre Philippe Couillard a été mis au courant de la transaction.

Jacques Daoust maintient depuis le début qu'il n'a pas donné le feu vert à la vente des actions et que, du reste, il n'a pas été informé de la transaction. Il persiste et signe dans sa lettre de démission. Il a quitté la vie politique vendredi, après que Philippe Couillard eut refusé de lui réitérer sa confiance.

Oui à Ouellet, non à Daoust

Jacques Daoust ne sera pas entendu en commission, mais son ex-chef de cabinet sera interrogé par les députés cet après-midi.

Lors d'une séance de travail spéciale en matinée, les élus membres de la commission de l'économie et du travail ont débattu de noms à ajouter à la liste des témoins. Ils sont parvenus à s'entendre sur un seul nom : l'ex-chef de cabinet de Jacques Daoust, Pierre Ouellet, qui a lui-même demandé de témoigner devant les parlementaires.

Le Parti québécois, la Coalition avenir Québec et Québec solidaire ont accusé les députés libéraux d'avoir bloqué l'audition de l'ex-ministre Jacques Daoust. Ils leur reprochent d'avoir rejeté une autre de leur demande, à savoir la convocation de l'ex-PDG de RONA, Robert Dutton, et du chef de cabinet de M. Couillard, Jean-Louis Dufresne.

Tour à tour, le caquiste François Bonnardel, le péquiste Alain Therrien et Amir Khadir, de Québec solidaire, ont accusé les élus libéraux de ne pas vouloir faire toute la lumière sur cette histoire et de protéger le gouvernement.

Le député libéral et vice-président de la commission, Robert Poëti, a expliqué que la version de Jacques Daoust est connue. Dans sa lettre de démission, l'ex-ministre écrit : « En tout moment, j'ai toujours dit la vérité, et mes déclarations dans le dossier de la vente des actions de RONA ont été rigoureusement exactes. Je n'avais pas été informé de l'intention des administrateurs de vendre la participation d'Investissement Québec dans RONA, je n'ai pas donné d'autorisation à celle-ci et je n'avais pas à le faire en raison des règles en vigueur chez Investissement Québec. »

Pourtant, des députés libéraux se disaient favorables à entendre non seulement Pierre Ouellet, mais aussi Jacques Daoust. « Il y a un lien de pertinence à entendre M. Ouellet et M. Daoust par rapport au mandat de la commission. Au-delà de ça, j'émets un doute quant à la pertinence d'autres noms », disait à La Presse Saul Polo, membre de la commission de l'économie et du travail.

Le président de la Commission, le péquiste Claude Cousineau, a précisé qu'il est possible que les députés se réunissent à nouveau en vue d'entendre d'autres personnes à la lumière des témoignages d'aujourd'hui.

En matinée jeudi, le premier témoin devant la commission était Mario Albert, PDG d'IQ de juin 2013 à août 2014, alors que le gouvernement Marois est au pouvoir. Sous sa gouverne, IQ a vendu un premier bloc d'actions de RONA en décembre 2013.

M. Albert a expliqué que c'était simplement pour qu'IQ respecte le seuil maximal de 10 % d'actions fixé par le gouvernement. Il n'avait « pas jugé bon » d'obtenir l'accord du gouvernement, puisque ce geste ne représentait pas un « changement d'orientation » et ne mettait pas en péril l'objectif d'éviter une prise de contrôle hostile de Rona. Mais s'il avait voulu liquider la totalité des actions, il aurait consulté le ministre même si la loi ne l'oblige pas à le faire. « C'est clair que pour disposer du bloc d'actions, j'aurais recommandé de consulter le ministre pour s'assurer que c'est compatible avec l'orientation du gouvernement », a-t-il dit, ajoutant qu'il s'agit d'une « transaction majeure ».

Il est pratique courante de passer par le chef de cabinet afin d'obtenir l'avis du ministre, selon lui. Il a souligné que Jacques Daoust, qui était PDG avant lui, était resté six mois pour faire la transition tout en conservant son salaire, mais celui-ci n'a pas joué son rôle de conseiller. Ils se sont parlé peu souvent, et M. Daoust n'était pas présent au bureau. La cohabitation fut « difficile », a résumé M. Albert. Les deux hommes n'ont pas abordé ensemble le dossier Rona pendant cette période. Mario Albert a ajouté que lorsqu'il a quitté ses fonctions en août 2014, il n'y avait pas de plan de vente des actions de Rona chez IQ.

« Moi, j'aurais consulté », ajoute un autre témoin

Lors de son passage en commission parlementaire, Jean-Claude Scraire, qui était président du conseil d'administration d'IQ de juillet 2013 à mai 2014, a tenu des propos allant dans le même sens que Mario Albert. « Sur des décisions majeures » comme la liquidation de la totalité des actions dans Rona, « je suis d'accord, il faut consulter le ministre même si c'est dans les fonds propres » d'IQ qu'on a puisé l'argent. « Moi, j'aurais consulté », a ajouté M. Scraire, qui a également travaillé pendant plusieurs années à la Caisse de dépôt et placement. Consulter le gouvernement est selon lui « nécessaire pour bien faire le mandat » confié aux dirigeants d'IQ. « Je conçois fort bien qu'on passe par le chef de cabinet pour obtenir l'opinion du ministre », a-t-il ajouté.

Il a expliqué que le fonds propre, et pas seulement le fonds de développement économique, peut servir à répondre à des commandes du gouvernement. Si IQ n'est pas à l'aise dans une opération pour utiliser le fonds propre, on puise l'argent nécessaire dans le fonds de développement économique. Pendant son mandat, ni au conseil d'administration ni au sein de la haute direction, on n'a discuté de la possibilité de vendre la totalité des actions de Rona.

L'horaire des auditions prévoit qu'en plus de M. Ouellet à 16H, on entendra en après-midi l'ex-président du conseil d'administration d'IQ, Louis Roquet, et la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc.

Pierre Ouellet, qui avait suivi Jacques Daoust aux Transports, a perdu son poste de chef de cabinet le printemps dernier dans la foulée de la controverse sur la gestion d'irrégularités au MTQ.

Rappelons que le détaillant américain Lowe's a acheté le géant québécois de la quincaillerie en février. La transaction était consensuelle.

Vente de Rona : la controverse en trois épisodes

• En juin, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, révèle que les membres d'IQ « ne considéraient pas avoir toute la latitude pour autoriser la vente sans avoir consulté le gouvernement » et qu'ils « ont obtenu en décembre 2014 l'accord du ministre avant de vendre la totalité des actions » dans Rona.

• Un procès-verbal de la réunion du conseil d'administration d'IQ du 17 novembre 2014, révélé par le PQ, stipule que les administrateurs ont autorisé la société d'État à « disposer des autres actions de Rona qu'elle détient sous réserve d'une consultation préalable auprès du ministre responsable de la Société ». On y précise que le ministre Daoust s'était joint au conseil ce jour-là. Dans le procès-verbal de la réunion suivante, le 15 décembre, on indique que le président par intérim, Yves Lafrance, « fait état de l'accord donné par le ministre responsable de la Société à la vente de la totalité des actions de Rona détenues par la Société ».

• Le 26 novembre 2014, Yves Lafrance, demande au chef de cabinet de M. Daoust, Pierre Ouellet, de « confirmer par retour de courriel que le (ministère) est en accord avec cette vente » des actions de Rona. La réponse vient un peu plus de deux heures plus tard. « OK », écrit M. Ouellet. M. Daoust assurait pourtant que ni lui ni son chef de cabinet n'avaient été mis dans le coup. Il soutenait même qu'il aurait été réticent à vendre les actions de Rona à ce moment-là, puisque le risque d'une prise de contrôle hostile n'avait pas disparu.