L'affaire a fait des vagues autour du monde. Le groupe de médias canadien Brunswick News a mis à la porte son caricaturiste vedette, Michael de Adder, au lendemain de la publication d'un dessin de Donald Trump. Pour certains de ses collègues dessinateurs, cet épisode illustre une tendance inquiétante au sein de plusieurs journaux qui craignent la controverse plus que jamais.

La semaine dernière, M. de Adder a publié sur Twitter le dessin qui a changé sa vie. L'artiste y a repris une photo récente qui a fait le tour du monde : celle d'un père et de sa fille, migrants venus du Salvador, morts noyés en tentant de traverser le fleuve séparant le Mexique des États-Unis. Sauf qu'au lieu du Rio Grande, ils se retrouvent ici dans un plan d'eau de terrain de golf, aux côtés d'un Trump occupé à jouer comme si de rien n'était.

Les réseaux sociaux se sont enflammés. Le dessin a été partagé, retweeté, aimé et commenté plus de 30 000 fois, aux quatre coins du monde.

Le lendemain, Brunswick News a annoncé à son caricaturiste principal que son contrat était terminé, après 17 ans de loyaux services.

Pour Michael de Adder, il ne s'agit pas d'une coïncidence. 

« On ne m'a jamais officiellement dit pourquoi j'ai été renvoyé. Ça m'a donné l'impression que je l'ai été pour cette raison. »

– Le caricaturiste Michael de Adder, au téléphone

« En fait, ils n'ont jamais publié une caricature qui ne faisait pas leur affaire », dit-il au sujet de Brunswick News, propriété de la puissante famille Irving, qui possède entre autres les journaux Telegraph-Journal de Saint John et Daily Gleaner de Fredericton.

Dans un communiqué publié sur Twitter dimanche dernier, Brunswick News affirme que la décision de mettre un terme au contrat de M. de Adder n'a rien à voir avec son dessin de Trump, mais que l'entreprise négociait depuis « plusieurs semaines » le retour d'un autre caricaturiste, Greg Perry, « un favori des lecteurs ».

Depuis l'annonce de son renvoi, l'artiste établi à Halifax a enchaîné les entrevues. On parle de lui dans Le Monde, dans le Washington Post et à Al-Jazeera. Il a même fait une entrevue à CNN.

« J'en sors grandi, a dit M. de Adder. J'ai retiré mes chaînes, je peux faire ce que je veux maintenant. » L'ancien pigiste pour le groupe néo-brunswickois est aujourd'hui plus populaire qu'il ne l'a jamais été.

Trop risquée pour les journaux, la caricature ?

Cet événement n'est pas sans rappeler l'annonce récente du New York Times voulant qu'il retire les caricatures de son édition internationale. La publication d'un dessin de Trump tenant en laisse le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou avait été qualifiée d'antisémite par une partie du public.

Terry Mosher, caricaturiste à The Gazette sous le nom de plume Aislin, voit dans l'affaire de Michael de Adder une attaque frontale contre la liberté d'expression, et ne s'est pas gêné pour critiquer la famille Irving. « J'ai parlé à Michael et je me suis demandé qu'est-ce que je pouvais faire. J'ai donc décidé d'appeler à un boycott d'Irving. » M. Mosher a publié une image sur son compte Twitter lundi, reprenant le logo d'Irving, marqué de l'inscription « boycott ».

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE MICHAEL DE ADDER

Michael de Adder

Le caricaturiste, qui avait lui-même été fortement critiqué pour une caricature dressant un parallèle entre le Ku Klux Klan et la Coalition avenir Québec, déplore l'état de la caricature. « Avec l'effritement des médias écrits, le goût du risque se fait rare, dit-il. Ils ont peur de perdre des lecteurs. Il y a de très bons éditeurs dans les médias, mais des courageux ? Il n'en reste plus. »

Son acolyte de toujours, Serge Chapleau, a parlé dans les mêmes termes. « C'est un signe des temps. Et c'est très triste », a dit le caricaturiste de La Presse.

« C'est le New York Times qui a parti ça, selon M. Chapleau. Quand un grand journal décide de ne plus publier de dessins parce qu'ils ne veulent plus avoir de trouble, ça donne le droit à plein d'autres de faire de même. J'ai l'impression que les boss d'Irving profitent un peu d'une situation qui est dans l'air. »

MM. Chapleau et Mosher, à l'instar de bien d'autres confrères dessinateurs, se sont montrés solidaires de leur collègue de Halifax.

« C'était un excellent dessin », a dit Serge Chapleau à propos de la caricature en question.

À voir la réaction du public, il est loin d'être le seul à le penser.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE TERRY MOSHER

Terry Mosher a publié une image sur son compte Twitter lundi, reprenant le logo d'Irving, marqué de l'inscription « boycott ».