Les fruits et légumes se régalent du soleil qui chauffe le sud du Québec depuis plusieurs jours. Mais les agriculteurs, eux, commencent à s'inquiéter. La sécheresse menace déjà certaines récoltes, et faute d'une chute de pluie importante, les conséquences pourraient être dévastatrices.

Comme c'est le cas depuis presque une semaine, le soleil est impitoyable au-dessus des champs cultivés par les Serres J.C. Lauzon, à Saint-Eustache.

La terre est pâle, sèche, elle craque sous nos pas. Et le maître des lieux, Julien Lauzon, commence à avoir drôlement hâte qu'une averse lui fasse le cadeau de sa présence.

« Les vieux de la vieille me disent d'être patient, mais là, j'en suis à me demander s'il va finir par mouiller pour vrai », confie l'agriculteur de 27 ans.

Sur sa terre d'une cinquantaine d'arpents, voisine de celles de ses parents avec qui il est en affaires, Julien cultive des tomates cerises et italiennes, des choux, des courgettes, des courges, de la rhubarbe et du maïs, en plus de posséder un verger.

Cultivées dans des serres, ses tomates cerises s'en tirent pour l'instant, bien qu'elles sèchent très rapidement après avoir été arrosées. Mais c'est beaucoup moins gai pour les choux, dont les feuilles jaunissent rapidement dans les champs. Ils demeurent bons à la consommation et pourront être envoyés dans les étals, mais dès la cueillette, ils devront être réfrigérés pour éviter qu'ils ne fanent pendant le transport.

Quant à la rhubarbe, grande amatrice d'eau et de temps frais, elle est plus fragile que jamais. « Mais ça prend juste une bonne rosée et c'est reparti », assure Julien Lauzon.

« En ce moment, je ne peux même pas sarcler mon champ ni désherber, car s'il reste un tout petit peu d'humidité dans la terre, on ne veut pas la perdre en la retournant et assécher le sol, explique-t-il. On ne peut pas mettre de fertilisant non plus parce que les plants ne peuvent pas l'absorber sans eau. »

Il se demande peu à peu s'il ne devrait pas acquérir un système d'irrigation, mais il reste hésitant devant une dépense qu'il évalue de 15 000 $ à 20 000 $.

FAIT RARE

La mère de Julien, Liette Lauzon, est agricultrice depuis presque quatre décennies. La météo ne lui réserve plus vraiment de surprises, mais elle convient qu'une telle vague de chaleur est hors norme.

« Une canicule aussi longue, j'ai rarement vu ça. » - Liette Lauzon, agricultrice

Elle craint tout particulièrement pour les plants de tomates, exposés aux « brûlures » du soleil. « Dès qu'un plant est atteint, il est irrécupérable », raconte la dame rencontrée à son étal du marché Jean-Talon à Montréal.

Producteur de pommes de terre, Maxime Desgroseillers est lui aussi inquiet. Très inquiet, surtout depuis qu'il a vu un voisin envoyer toute une récolte de salades brûlées à la poubelle.

Il possède certes un système d'irrigation, mais celui-ci a trouvé le pire des moments pour cesser de fonctionner. En dernier recours, il pourrait demander de l'aide de fermes situées près de la sienne à Saint-Rémi.

« Les plants de patates ont commencé à faner. Ils ne pourront pas tenir une autre semaine comme ça », déplore-t-il, évaluant que ce légume compte pour 50 % de son chiffre d'affaires annuel.

Il se console en voyant son maïs « pousser à vue d'oeil », un luxe que n'a pas Julien Lauzon, dont les plants assoiffés sont nettement plus petits et irréguliers qu'à l'habitude.

LA PLUIE SE FAIT ATTENDRE

La dizaine de cultivateurs interrogés par La Presse sont unanimes : la prochaine averse sera plus que bienvenue. D'aucuns croisaient les doigts hier en suivant les possibilités de précipitations prévues la nuit dernière.

« Il aurait fallu qu'il pleuve bien avant ça ! », ricane Daniel Brais, de la Ferme des moissons, à Saint-Urbain-Premier, en Montérégie. Le producteur d'ail a lui aussi décidé de travailler sans système d'irrigation, « avec l'eau du bon Dieu ».

Mais encore faut-il que le bon Dieu lui en donne pour son argent. La pluie n'est pas une finalité en soi.

« Un orage qui laisse 30 mm en 20 minutes, ça ne donne rien, l'eau s'en va dans le fossé et rien n'imprègne le sol. J'aime bien mieux 15 mm qui tomberaient pendant 5 heures... » - Daniel Brais, cultivateur

Pour ses collègues comme pour lui, le pire cauchemar demeure une chute de grêle.

« J'aime encore mieux la sécheresse », commente Pauline Guérin, des Jardins des filles à Paul, situés à Mercier, aussi en Montérégie.

HEURES IRRÉGULIÈRES

Il n'y a pas que les cultures qui ont chaud. Les travailleurs aussi. La canicule qui s'étire est un véritable enfer pour les agriculteurs et leur personnel. Plusieurs ont donc convenu de modifier leurs horaires de travail, notamment en commençant la journée une heure ou deux plus tôt qu'à l'habitude.

À la Récolte de la Rouge, ferme biologique installée à Brébeuf, dans les Laurentides, on a même créé un quart de travail de soir qui se termine à 21 h. « Tout pour éviter l'après-midi », commente son copropriétaire Mathieu Roy.

N'empêche, d'aucuns tentent de prendre la situation avec philosophie.

« Ça fait 20 ans que j'ai acheté la terre de mes parents, et on s'en est toujours sortis », résume Daniel Brais.

« L'agriculture, ça reste un coup de dés », lance pour sa part Julien Lauzon. Sa mère Liette rappelle, quant à elle, que « dès que les premières framboises arrivent, la canicule se met de la partie ».

Plusieurs se seraient toutefois contentés d'un jour ou deux, plutôt que six.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Depuis le début de la canicule qui sévit au Québec depuis presque une semaine, les temps sont durs pour les champs cultivés par les Serres J.C. Lauzon, à Saint-Eustache.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Julien Lauzon, qui cultive des tomates cerises et italiennes, des choux, des zucchinis, des courges, de la rhubarbe et du maïs, commence à avoir drôlement hâte qu'une averse lui fasse le cadeau de sa présence.

La canicule dans votre assiette

La chaleur extrême n'a pas le même effet sur tous les fruits et légumes. Spécimens choisis.

TOMATES

La tomate est précédée par sa réputation : elle aime la chaleur et le soleil plus que tout. Malgré quelques « coups de soleil » qui lui laisseront des marques jaunâtres, les tomates du moment possèdent une chair qui offre un maximum de saveur. Seul bémol : elles seront un peu plus petites qu'à l'habitude et probablement moins juteuses.

CUCURBITACÉES

Le temps est bon également pour les courges et leurs cousines. « On dirait que les zucchinis n'aiment pas l'eau ! », s'exclame le cultivateur Julien Lauzon. « Ça pousse comme du chiendent », ajoute sa mère Liette. Le concombre a lui aussi bonne mine, même s'il semblera un peu plus sec et crevassé, fait remarquer Pauline Guérin.

FRAISES

Les fraises n'ont peut-être jamais été aussi bonnes... ni aussi fragiles. « Elles murissent à la vitesse de l'éclair, et comme on manque de cueilleurs, elle pourrissent dans les champs », se désole Mathieu Roy, de la Récolte de la Rouge, dont la production a fondu au cours des derniers jours. Selon ses dires, les fruits rescapés de sa dernière récolte étaient pourtant « du bonbon ». L'occasion est donc belle de profiter des meilleures fraises de la saison, pour peu qu'on ne veuille pas les conserver trop longtemps.

FEUILLES ET FLEURS

Les temps sont durs pour les légumes-feuilles (choux, laitues) et les légumes-fleurs (brocoli, chou-fleur). En raison d'un murissement accéléré par le soleil, ils ont tendance à « monter en graines », c'est-à-dire qu'une longue tige commencera à pousser et rendra le légume amer. Les cultivateurs doivent donc redoubler de vigilance et les cueillir rapidement.

PIMENTS FORTS

Les grands gagnants de la canicule sont probablement les piments forts. À Saguenay, le mercure a atteint l'impressionnante marque de 36,5 °C, mais Hélène Monette, copropriétaire des Jardins Terra Terre, en redemande. « Je n'ai jamais eu d'aussi beaux plants ! », s'exclame au bout du fil celle dont les serres abritent depuis trois ans des piments chili, d'Espelette, paprika, jalapeno et habanero. Issus du climat mexicain, ceux-ci raffolent de la chaleur et de l'humidité qui affligent la région depuis quelques jours. « Les plans sont déjà beaucoup plus avancés que l'an passé, ils sont vigoureux, ont plus de feuillage », ajoute Mme Monette. Des boutons de fleur et quelques piments ont déjà fait leur apparition. Si les estimations d'Hélène Monette sont exactes, sa production pourrait doubler celle de l'année dernière.