L'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) recueille et partage trop de renseignements personnels avec les douaniers américains et d'autres agences canadiennes dans le cadre d'un programme de ciblage des voyageurs, estime le commissaire à la vie privée du Canada, Daniel Therrien.

Dans un rapport publié hier, le commissaire a recommandé à l'ASFC d'apporter quelques changements à son programme national de ciblage, qui analyse les données personnelles de millions de voyageurs fournies par les compagnies aériennes.

Dans le cadre de ce programme, les renseignements relatifs à 80 000 voyageurs qui arrivent au Canada par avion chaque jour (soit 29 millions de personnes par année) sont analysés par des algorithmes informatiques afin de prédire le risque que certains individus soient impliqués dans du terrorisme ou d'autres activités criminelles. Les données passées au peigne fin comprennent le nom, la nationalité, l'adresse, le numéro de téléphone et le numéro de passeport.

Ensuite, les dossiers d'environ 60 000 voyageurs par année, soit 164 par jour, sont automatiquement mis de côté pour que des agents frontaliers mènent des recherches supplémentaires. Les renseignements personnels de ces voyageurs sont alors transmis au Service des douanes et de la protection des frontières américaines.

Enfin, un certain nombre de dossiers dans ce lot de quelque 60 000 sont par la suite retenus pour que des vérifications poussées soient faites, y compris des fouilles et des interrogatoires.

DOSSIERS D'IMPÔTS ET RÉSEAUX SOCIAUX

L'analyse du commissaire à la vie privée s'est déroulée sur une période d'un an, de janvier 2016 à janvier 2017. Le nombre de cas mis de côté par le système informatique s'est élevé à 552. Le commissaire s'est penché sur 90 d'entre eux.

« Environ le tiers des dossiers contenaient des détails personnels sans lien évident avec une évaluation du risque pour la sécurité nationale », a constaté le commissaire Daniel Therrien.

Des dossiers d'impôts et des renseignements issus des médias sociaux ont aussi été recueillis. « Dans certains cas, des reproductions de pages entières de médias sociaux avaient été ajoutées aux dossiers, notamment des listes de personnes liées, des messages publiés et des photos des cibles ainsi que de leurs conjoints, enfants ou amis », peut-on lire dans le rapport.

Selon le commissaire, « il y a un risque qu'un grand nombre d'individus ne représentant aucune menace pour la sécurité nationale soient assujettis régulièrement au regard de l'ASFC et de ses partenaires chargés de l'application de la loi et du renseignement, y compris dans d'autres juridictions, simplement parce qu'ils correspondent aux paramètres d'un certain scénario ».

« Les personnes n'ont aucun moyen de savoir qu'elles pourraient correspondre aux paramètres d'un certain scénario et seraient donc l'objet d'une attention particulière à la frontière, a-t-il renchéri. Il y a un risque que des informations inexactes, périmées ou hors contexte soient recueillies et conservées par l'ASFC et les partenaires avec lesquels elle échange des renseignements. »

Le rapport recommande à l'ASFC de limiter les renseignements recueillis au strict nécessaire, de revoir ses ententes avec ses partenaires pour s'assurer que les renseignements personnels partagés sont suffisamment protégés et d'envisager de restreindre le nombre de voyageurs ciblés.

C'est la deuxième fois cette semaine que le commissaire Therrien exprime des préoccupations à l'égard de pratiques touchant la vie privée des voyageurs. Lundi, il a lancé une mise en garde à l'égard de la pratique de plus en plus répandue chez les douaniers américains de fouiller les appareils électroniques comme les téléphones cellulaires. Il a recommandé aux Canadiens d'être prudents quant aux appareils et aux renseignements personnels qu'ils transportent aux États-Unis.