Le gouvernement fédéral devra payer la note pour les milliers de ressortissants supplémentaires syriens qu'il compte amener au Canada dans les prochaines semaines, a prévenu hier la ministre québécoise de l'Immigration Kathleen Weil.

«Face à la pire crise humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale, je vous dirais que les Québécois de partout au Québec se sentent très interpellés, et notre gouvernement aussi», a déclaré Mme Weil à l'Assemblée nationale.

Toutefois, même après les points de presse de Justin Trudeau et de son ministre John McCallum, hier après-midi, beaucoup d'informations manquaient à Québec pour préparer l'arrivée d'un contingent aussi important. «On est un peu dans le brouillard», a dû convenir la ministre Weil en entrevue avec La Presse.

«Dépendant des orientations du gouvernement fédéral, évidemment, il y aura une entente. Et, dans cette entente, évidemment, nous négocions les dépenses encourues, comme on a fait avec les Kosovars. Les coûts additionnels engendrés, le volume [supplémentaire] seraient assumés par le gouvernement fédéral», avait-elle indiqué à l'Assemblée nationale.

Et de ses premiers contacts avec son homologue fédéral John McCallum elle retient qu'Ottawa «s'est montré très ouvert» à cette condition. Ottawa ne s'est toutefois pas encore engagé formellement à défrayer ces coûts. En 1999, Ottawa avait payé la note pour accueillir au pays 5000 réfugiés du Kosovo.

Un réseau déjà sous pression

À l'Assemblée nationale, toutefois, le député de la Coalition avenir Québec Jean-François Roberge s'est dit inquiet des conséquences de ces arrivées sur un réseau de l'éducation déjà mal en point.

«Je sais qu'on va les accueillir, on est bien empathiques, on veut les accueillir. Sera-t-on capables de les scolariser, de les franciser, de les intégrer? En ce moment, il n'y a même pas assez de personnes dans nos écoles pour s'occuper des élèves en difficulté», a lancé le critique de la CAQ en éducation.

Québec s'efforce déjà d'aider les établissements scolaires et hospitaliers ainsi que les organismes communautaires à se préparer à accueillir les nouveaux arrivants, souligne Mme Weil. On s'attend à ce que le Québec accueille le quart des 25 000 migrants que le Canada compte amener. En septembre, Québec avait déjà indiqué qu'il comptait accueillir 3650 migrants. De ce nombre, 2400 personnes sont déjà considérées comme des réfugiés. Leur dossier est à Beyrouth, au Liban, et ils n'attendent que le feu vert du gouvernement fédéral. À leur arrivée, les ressortissants devront montrer patte blanche lors d'une enquête de sécurité, sous la responsabilité d'Ottawa. Ils devront aussi subir un examen de santé général.

Plusieurs villes intéressées

En matinée, Mme Weil avait indiqué que plusieurs municipalités québécoises étaient disposées à accueillir ces migrants. En tout, 13 villes ont manifesté leur intérêt, a-t-on appris par ailleurs.

Le ministère de l'Éducation évalue en ce moment les endroits au Québec où les réfugiés peuvent être intégrés dans le réseau scolaire, a précisé de son côté son titulaire François Blais. «Il n'y a rien de connu et de décidé en ce moment sur les nombres exacts, alors il y a des simulations qui ont été présentées et discutées», a-t-il affirmé. La Presse rapportait hier que la Commission scolaire de Montréal s'attendait à recevoir 1000 élèves de plus, la moitié des élèves supplémentaires attendus sur l'île de Montréal.

«On s'est engagés comme gouvernement. C'est quand même un projet important, il y a des raisons humanitaires et je pense que la population nous suit là-dessus», a souligné M. Blais.

Responsable de la Sécurité publique, le ministère qui dirige le comité interministériel mis en place par Québec, Pierre Moreau a souligné que «la marche qu'on suit à l'heure actuelle nous permettra d'être prêt». Le travail sera coordonné par l'organisation de la Sécurité civile.

Au passage Mme Weil a qualifié d'«inadmissible» le déploiement d'une banderole à Québec contre l'arrivée de réfugiés syriens. «Ça ne reflète tellement pas tous les messages que je reçois de partout au Québec», a-t-elle soutenu.

- Avec la collaboration de Martin Croteau

Les commissions scolaires dans le noir

Les commissions scolaires visées par la vague de réfugiés syriens à venir d'ici la fin de l'année attendent des directives plus claires du gouvernement avant de déployer un plan d'accueil. D'ici là, elles sont dans le noir. À ce jour, aucune commission n'a reçu un plan précis des mesures à déployer à l'exception de la Commission scolaire de Montréal (CSDM).

À la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB), la présidente indique que les directions de ses écoles sont en «mode veille, mais qu'il n'y a pas de panique, loin de là».

«C'est la routine normale pour nous. On a l'habitude. Vous savez, ça fait 30 ans qu'on accueille des immigrants, rappelle Diane Lamarche-Venne. Et on parle depuis un an de l'arrivée de nouveaux réfugiés. Mais en ce qui concerne les 25 000 Syriens dont parle le premier ministre Trudeau, c'est autre chose. On sait qu'il y en a qui s'en viennent, mais on ne sait pas combien.»

Chaque année, la CSMB accueille une centaine de nouveaux arrivants dans des classes d'accueil avec des programmes de francisation. Au fil des ans, la commission scolaire de l'ouest de l'île s'est même dotée d'un centre d'intervention pédagogique, l'équivalent d'un laboratoire de recherche, dont la mission est d'adapter l'approche scolaire selon l'origine des communautés.

Dans le cas des réfugiés syriens, Mme Lamarche-Venne croit qu'une bonne partie sera concentrée dans l'ouest de l'île, arrondissement de Saint-Laurent. «C'est à cet endroit qu'il y a les églises, les organismes communautaires pour les parrainer, les ressources», dit-elle.

À la Commission scolaire de la Pointe-de-l'Île (CSPI), aussi visée pour accueillir les réfugiés, aucune discussion n'a encore eu lieu avec le ministère de l'Éducation au sujet des réfugiés syriens. Aucun plan n'est en branle.

Christiane St-Onge, directrice des services corporatifs, communications et secrétaire générale, a expliqué que la commission scolaire a appris en même temps que tout le monde, en lisant La Presse hier matin, que le gouvernement prévoit qu'environ 2000 élèves fréquenteront les établissements scolaires de Montréal. «Il n'y a pas de plan à l'heure actuelle, nous n'avons été informés de rien. On n'a aucun détails.»

Ailleurs, que ce soit sur la Rive-Sud (Commission scolaire Marie-Victorin) ou sur la rive nord (Commission scolaire de Laval), le scénario se répète sensiblement.

- Sara Champagne