Boire un verre d'eau du robinet, tirer la chasse de la toilette, laver ses vêtements: ces gestes banals du quotidien pèsent lourd sur les finances des municipalités. Celles-ci doivent débourser chaque année 5 milliards de dollars pour maintenir à flot leurs services d'eau, évalue le ministère des Affaires municipales, Régions et Occupation du territoire (MAMROT). Malgré un certain progrès dans les dernières années, les Québécois utilisent toujours 200 litres d'eau de plus par jour que les Ontariens.

Le coût des services d'eau 67% plus élevé

Jusqu'à cet été, le MAMROT n'avait jamais calculé les coûts de l'approvisionnement et de la distribution de l'eau potable et de la collecte et du traitement des eaux usées. Pourtant, Québec s'était engagé à le faire il y a 13 ans. À partir des données de 2012 recueillies auprès de 575 municipalités, le coût unitaire des services d'eau a été évalué à 2,26$/m, soit 0,00226$ le litre d'eau. C'est 67% supérieur à la précédente estimation, effectuée en 2011 à partir des données de 2008, révèle le Rapport sur le coût et les sources de revenus des services d'eau.

2,75 milliards pour le maintien des infrastructures

En extrapolant ces données pour l'année 2012, le coût total annuel des services d'eau a été estimé à 5 milliards. Pour arriver à cette somme importante, le MAMROT a lancé l'hypothèse que les municipalités ne s'endetteraient pas pour remplacer une infrastructure en fin de vie. Ainsi, pour «assurer la pérennité des infrastructures d'eau», les municipalités devraient débourser 2,75 milliards par année uniquement pour épargner assez d'argent en vue du remplacement des infrastructures, ainsi que pour rattraper le déficit d'investissement accumulé. Les frais d'exploitation des services d'eau ne comptent donc que pour 45% de la facture de 5 milliards. Presque la moitié de cette somme est consacrée aux frais de financement et au remboursement de la dette.

Des revenus annuels insuffisants

Les municipalités utilisent trois moyens pour payer leurs systèmes d'eau potable et de traitement des eaux usées: la taxe foncière, la tarification forfaitaire et la tarification volumétrique (à l'aide d'un compteur d'eau). Toutefois, ces revenus annuels ne couvrent qu'environ 35% du coût total des services d'eau, alors que leurs frais d'exploitation, à eux seuls, représentent 45% des coûts. Autrement dit, les municipalités accumulent un manque à gagner important chaque année en sous-finançant les infrastructures d'eau. «Les municipalités n'incluent pas, dans leurs dépenses reliées aux services d'eau, les besoins annuels requis pour financer les investissements futurs visant le maintien de l'infrastructure», explique la porte-parole du MAMROT Annie Bérubé.

Taux de fuite de 28%

La Stratégie d'économie d'eau potable du MAMROT, adoptée en 2011, a deux objectifs nationaux pour l'horizon 2016: limiter le taux de fuite des réseaux d'aqueduc à 20% du volume d'eau distribué et réduire de 20% la consommation d'eau par rapport à 2001. Déjà, Québec peut se targuer d'avoir fait fondre de 23% la quantité d'eau distribuée. Par contre, la proportion de pertes d'eau a légèrement augmenté en 2013 pour atteindre 28%, indique le Rapport annuel de l'usage de l'eau potable 2013, publié cette année. Si ces objectifs nationaux ne sont pas atteints le 1er avril 2017, les municipalités ne respectant pas certains critères devront établir une «tarification adéquate des services d'eau» pour obtenir l'aide financière de Québec reliée aux infrastructures d'eau.

Les Québécois consomment plus d'eau que les Canadiens

La quantité d'eau distribuée par personne par jour au Québec est passée de 777 à 596 litres en 12 ans, remplissant ainsi un des objectifs du MAMROT. Or, il faut relativiser ce succès en tenant compte que la moyenne canadienne a diminué de 622 à 483 litres durant la même période. L'écart est encore plus marqué avec nos voisins ontariens, qui distribuent seulement 407 litres d'eau par habitant. Le scénario est le même en considérant uniquement l'eau consommée par les individus. En 2009, les foyers québécois utilisaient 386 litres d'eau par jour, contre 225 litres d'eau pour les Ontariens, selon Environnement Canada.

Vers une nouvelle tarification?

Ce rapport a notamment pour objectif de permettre aux municipalités d'inclure le coût réel des services d'eau dans leur planification financière. «Le cas échéant, des ajustements pourront être effectués à la tarification des services d'eau municipaux afin de rendre visible le coût réel de l'eau», indique le document. Au cabinet du ministre Pierre Moreau, on reste nébuleux sur la question de la tarification. «Le gouvernement va convenir avec le milieu municipal de l'entrée en vigueur de l'engagement numéro 4 de ce que constitue la tarification adéquate», maintient son attaché de presse Jean-Félix Lévesque. L'Union des municipalités du Québec poursuit également les «discussions avec le MAMROT sur ce dossier».

Tarification volumétrique

Au pays, le Québec fait figure d'exception au sujet des compteurs d'eau résidentiels: 72% des foyers canadiens en possèdent un contre seulement 10% des résidences québécoises. Or, la tarification volumétrique de l'eau diminue de façon «significative» la consommation d'eau par habitant, démontrent toutes les enquêtes d'Environnement Canada depuis 1991. Les résidants des municipalités canadiennes ayant adopté une tarification volumétrique consomment 229 litres, par rapport à 376 litres pour les autres villes. Selon le professeur émérite de sciences économiques de l'Université de Montréal Marcel Boyer, la tarification volumétrique réduirait autant la consommation de l'eau que la facture des Québécois. «C'est la tarification qui envoie le signal d'une bonne utilisation des ressources en eau. S'il n'y a pas de lien entre le montant qu'on paye, évidemment, les gens ont tendance à surconsommer la ressource.»