En 2011, un cancer rare est diagnostiqué chez deux jeunes cadets après un camp d'été à la base de Bagotville. Au terme d'une enquête, les autorités militaires concluent qu'il s'agit d'une coïncidence. Mais des documents obtenus par La Presse révèlent que le médecin militaire chargé de l'enquête doutait, et doute encore aujourd'hui, de cette conclusion.

Le médecin militaire qui a enquêté sur le cancer rare diagnostiqué chez deux cadets après leur séjour à la base de Bagotville à l'été 2010 doute encore aujourd'hui qu'il s'agît réellement d'une coïncidence, contrairement à la conclusion officielle véhiculée par les Forces armées canadiennes, a appris La Presse.

« C'était mon impression à ce moment-là, et encore maintenant, que deux jeunes dans des lits de camp voisins... Vous savez ? Mais je n'ai aucune preuve. Ce n'est que mon opinion », a déclaré le docteur Jeff Whitehead, épidémiologiste senior au sein des services de santé des Forces, lors d'une entrevue avec La Presse.

Le Dr Whitehead a cependant affirmé que tous les tests possibles ont été menés, et que « nous en sommes arrivées aux limites des possibilités scientifiques » pour découvrir ce qui a réellement pu causer le phénomène.

Plusieurs coïncidences

La Presse a révélé en 2012 que deux cadets qui ont participé à un cours de survie de trois semaines à la base militaire du Saguenay - Lac-Saint-Jean en août 2010 ont été diagnostiqués avec un lymphome et une leucémie de Burkitt quelques mois plus tard. Il s'agit de deux manifestations d'un même cancer qui touche seulement trois Canadiens sur un million chaque année.

Le dossier de ces deux adolescents de la région d'Ottawa et Gatineau a ceci de particulier que le Burkitt peut être causé par des virus, dont le virus d'Epstein-Barr, particulièrement dans sa forme endémique plus fréquente en Afrique. C'est ce même virus qui peut être à l'origine de la mononucléose.

Ce dossier contient plusieurs autres coïncidences : une semaine avant l'arrivée de ces deux cadets au camp, 36 pensionnaires avaient été placés en observation « pour des symptômes relatifs à la gastroentérite » ; une instructrice de 23 ans qui était chargée de faire la sécurité au camp, Cynthia Tassé-Beaudet, est morte quelques mois après son séjour d'une autre forme de cancer, un lymphome non hodgkinien anaplasique à cellules T ; et les deux jeunes cadets atteints de Burkitt, qui dormaient dans deux lits voisins, ont eux-mêmes été malades durant leur séjour.

Dû au hasard

Les Forces armées canadiennes ont mené une enquête de plusieurs mois après avoir été alertées de la situation en décembre 2011 par les parents de l'un des cadets et leur conclusion officielle était que la situation était due au hasard.

« Aucune preuve n'a été trouvée qu'un agent infectieux a été impliqué ; d'où le fait que deux cadets de la même région [NDLR : court passage censuré] dans le même cours, vivant dans les mêmes habitations aient tous deux contacté presque la même maladie est une coïncidence », peut-on lire dans une note d'information envoyée au ministre de la Défense en 2012.

C'est aussi l'essence du message envoyé aux parents des 77 cadets du Québec et de l'Ontario présents au camp afin de les aviser de la situation en mars 2011 : « L'enquête n'a pas décelé un quelconque facteur associé avec le lymphome ou leucémie de Burkitt chez les cadets malades. De tels agrégats de cancer sont presque toujours dus au hasard et il est très peu probable que d'autres cadets développent cette maladie ».

Doutes sur les tests

Mais la lecture de documents internes des FAC obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et l'entrevue avec l'épidémiologiste Jeff Whitehead démontrent que cette conclusion ne donne pas tout le portrait de la situation, à commencer par les doutes entretenus par le médecin chargé de faire enquête dans le dossier.

Dans son rapport sommaire, le Dr Whitehead conclut : « La cooccurrence de [NDLR : Passage censuré] avec le développement subséquent de Burkitt, une maladie qui est reconnue comme étant associée à des infections virales en Afrique, mène à l'hypothèse que cela a pu impliquer une infection virale inconnue. Par contre, comme tout agrégat de maladie, la chance ne peut jamais être écartée. »

Le spécialiste a aussi exprimé certaines réserves quant à la fiabilité des tests effectués : « D'abord, la qualité des échantillons (fixés dans le formaldéhyde ou sur lames) n'était pas idéale pour la détection de virus, et dès lors la sensibilité des tests pourrait avoir été réduite. Ensuite, les tests menés n'étaient pas validés pour un examen virologique sur le lymphome de Burkitt », a-t-il écrit.

Ces tests ont été menés au Laboratoire national de microbiologie à Winnipeg pour déceler la présence de virus susceptibles de causer le cancer, dont le virus d'Epstein-Barr et que des virus liés à l'herpès ou au polyomavirus. Les résultats ont été négatifs.

En entrevue, le Dr Whitehead a affirmé que c'est tout ce qu'il était possible de faire dans les circonstances. Pour aller plus loin, a-t-il expliqué, il aurait fallu mener une étude comparant l'ADN de centaines de sujets avec et sans le Burkitt pour détecter si d'autres virus ont pu jouer un rôle.

- Avec William Leclerc