Les passagers d'un autocar, des étudiants américains, ont fait l'objet d'une fouille à nu de la part de gardes frontaliers canadiens en 2011. L'évènement a enfreint les politiques gouvernementales en vigueur et pourrait même avoir violé la Charte canadienne des droits et libertés.

Selon un document interne de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) obtenu par le Toronto Star et Metroland Media, la fouille à nu s'est déroulée à la frontière ontarienne près de Lansdowne, le 31 décembre 2011.

L'autocar transportait 48 étudiants américains, tous âgés de 18 à 25 ans. Les jeunes se rendaient à Montréal pour célébrer le Nouvel An, et ensuite à Mont-Tremblant pour y faire du ski pendant quelques jours. La plupart des étudiants étaient des hommes, mais il y avait au moins 10 femmes.

Toujours selon le rapport, l'autocar a traversé la frontière vers 11h du matin. Une vérification d'usage faite par les douaniers a alors révélé que certains passagers avaient un «passé criminel». Les jeunes ont donc été sommés de sortir de l'autocar. À l'intérieur, les agents de l'ASFC ont retrouvé six grammes de marijuana et une petite quantité de ce qui semblait être de la cocaïne.

Les heures suivantes ont été un «cauchemar, une histoire d'horreur», raconte un des passagers. L'homme, maintenant âgé de 27 ans, a préféré ne pas être identifié. «Je suis rentré dans une pièce, il y avait deux hommes assis à une table. J'ai dû enlever tous mes vêtements, baisser mon pantalon et me tourner», raconte-t-il.

«[Les passagers] étaient vraiment agités, certaines filles pleuraient. Les gens étaient extrêmement fâchés.»

Camouflage

Il nous a été impossible de savoir pourquoi l'Agence des services frontaliers du Canada a décidé d'effectuer cette fouille à nu de masse. Les documents indiquent toutefois que l'ASFC a camouflé l'affaire pendant au moins trois ans. «Cette histoire pourrait soulever des questions de légitimité pour mener des recherches personnelles contre les voyageurs, si les politiciens ou les médias en sont mis au courant», indique le document.

Un plan de gestion de crise médiatique et une déclaration ont même été prévus, au cas où un journaliste se serait intéressé à l'histoire.

Dans un courriel envoyé hier, le porte-parole de l'ASFC Chris Kealey a indiqué que l'Agence avait revu ses politiques de fouille à nu depuis l'événement.

«Par exemple, chaque personne doit maintenant être examinée indépendamment de tout autre voyageur», a écrit dans un courriel le représentant de l'organisme.

«De plus, nous avons mis en place des cours pour nos agents sur la Charte canadienne des droits et libertés. Depuis l'automne 2012, cela fait aussi partie de l'enseignement de base pour tout nouvel agent de l'ASFC.»

Le rapport contient également plusieurs observations. Il recommande de mettre davantage l'accent sur les lois en vigueur et sur la Charte canadienne des droits et libertés concernant le droit de procéder à des fouilles à nu.

Une note séparée écrite après le rapport initial mentionne que la décision de procéder à 48 fouilles à nu ne respectait pas les procédures et règles en vigueur de l'Agence.

La note indique aussi que le matin du 31 décembre 2011, les agents ont envoyé un renifleur à l'intérieur pour une inspection plus poussée après la sortie des étudiants. Il n'a rien trouvé.

Malgré tout, le plus haut responsable en place, le chef Mark Pergunas, a tout de même ordonné une fouille à nu pour les 48 étudiants. Ils ont défilé tour à tour dans la salle des «recherches personnelles».

Joint hier après-midi, M. Pergunas a refusé de commenter l'histoire.

Le porte-parole de l'Agence nous a mentionné que Mark Pergunas a approuvé les fouilles, sans en informer ses supérieurs. Il n'a pas toutefois pas voulu dire si le responsable avait fait l'objet de sanctions disciplinaires.

Lors de la fouille, deux étudiants ont admis avoir en leur possession une trentaine de pilules. Selon le passager a qui nous avons parlé, il s'agirait d'Adderall ou une autre drogue similaire. Le rapport d'incident fait quant à lui référence à des cachets d'amphétamine.

Douaniers mal à l'aise

Des sources, qui n'étaient pas présentes lors des recherches mais qui connaissent bien le dossier, nous ont mentionné que les douaniers étaient mal à l'aise de procéder à cette fouille de masse.

«Lorsque quelqu'un se fait intercepter avec de la drogue en avion, on ne fouille pas tout le monde à bord. On fait une fouille individuelle. Dans ce cas, il n'y avait pas d'indication qu'il y avait de la drogue.»

Le passager nous a lui aussi rapporté que les douaniers semblaient mal à l'aise.

«On aurait dit qu'il ne voulait pas vraiment être là», a-t-il dit.

Bruce Ryder, professeur à l'Osgoode Hall Law School de Toronto, croit que la Charte canadienne protège aussi les voyageurs de passage au pays et que les étudiants auraient de très bonnes raisons d'intenter des poursuites.

«Les tribunaux mentionnent que les gens doivent s'attendre à renoncer à une partie de leur vie privée aux douanes, mais cela ne veut pas dire qu'ils n'ont plus de droits», indique-t-il en entrevue.