Le réveil n'aura pas réussi à chasser le cauchemar. Quatre familles québécoises ont passé la journée de vendredi à tenter de se remettre de la terrible nouvelle tombée la veille, quand elles ont appris que leurs proches avaient disparu dans l'écrasement du vol AH5017 d'Air Algérie dans le nord du Mali.

En tout, 12 passagers de l'avion parti de Ouagadougou avaient Montréal comme destination finale. Ils étaient tous d'origine burkinabè, sauf Isabelle Prévost, cette mère de famille qui résidait à Sherbrooke.

Ils avaient tous une famille, des proches et des amis qui les attendaient. Qui ont passé la journée de vendredi à regarder l'immense tache sombre qu'a laissée l'avion au milieu du désert où il s'est écrasé.

Leurs proches ont tous reçu la nouvelle comme on reçoit un coup de massue. Le président français, François Hollande, a confirmé le pire vendredi: «Il n'y a aucun survivant à l'écrasement d'avion.» Seule la boîte noire permettra de comprendre ce qui s'est passé.

Veillée à la bougie à Montréal

Ils étaient donc quelques dizaines à s'être rassemblés au parc Marie-Victorin de Longueuil, à la pénombre, pour participer à la veillée à la bougie organisée à la mémoire de Winmalo Somda, sa conjointe Angélique, leurs enfants Nathanael et Arielle, et le frère de Winmalo, Wilfried Somda.

«Le Burkina Faso est en deuil. Ses fils et ses filles qui vivent à des milliers de kilomètres sont encore inconsolables», a déclaré le pasteur Noël Kabore. Les visages dans la foule lui donnaient raison. Les regards au sol et les yeux remplis d'eau traduisaient la douleur qu'éprouve la communauté burkinabè, solidaire et tissée serré.

À preuve, une dizaine de ceux qui considèrent la femme de Wilfried Somda comme leur «soeur» se relayaient à sa résidence pour la soutenir. «La planète vient de lui tomber dessus», a résumé Mahamadi Savadogo, président de l'Association des Burkinabè du Grand Montréal. Quand elle a appris la terrible nouvelle, jeudi matin, Rita Samhoudi est descendue voir son voisin Patrick Lévesque, en larmes. «Elle était bouleversée, mais elle a tout de même pris le temps de venir s'excuser pour le bruit vu qu'il y a plein de monde qui passe la voir», a-t-il raconté.

«En revoir une partie»

À Sherbrooke, la journée de vendredi a sonné la fin de l'espoir pour Danny Frappier. Quand il a vu ce qu'il restait de l'appareil qui devait lui ramener sa conjointe Isabelle, le père de famille a su qu'il n'allait plus jamais revoir son amoureuse vivante.

«Mais j'aimerais en revoir une partie, a-t-il ajouté, la voix brisée. C'est ce que je veux le plus. Des restants de bagages qui pourraient nous rappeler des affaires, des souvenirs qu'elle aurait achetés aux enfants ou son appareil-photo, qui risque d'être brisé...»

Le père de trois enfants de 5, 7 et 9 ans a cependant déploré le mutisme de l'ambassade canadienne. Celle-ci ne peut s'avancer officiellement sur le sort d'Isabelle Prévost et sur les démarches à suivre pour ramener sa dépouille, ou l'un de ses objets, au pays.

«On n'a plus d'espoir. En ayant vu les images, on sait qu'elle est décédée, c'est certain. On essaye de se préparer aux prochaines étapes à venir, mais pour l'instant, on n'a pas beaucoup d'aide», s'est-il désolé.

Pèlerinages

Pour d'autres, le deuil prendra la forme de pèlerinages dans leur pays natal.

La petite famille de Moïse Sanwidi, qui habite Québec depuis neuf ans, partira au Burkina Faso pour quelque temps. La grand-mère maternelle, Martine Sanwidi, devait finalement voir la terre d'accueil de son fils. Elle devait passer du temps à Beauport et rencontrer son deuxième petit-fils. Mais la grand-maman de 56 ans est plutôt décédée dans l'écrasement.

Moïse Sanwidi et les siens se rendront à Ouagadougou. Là-bas, le résidant de Québec pourra consoler son père, lui aussi «atteint d'une grande tristesse». Comme d'autres, il profitera de l'aide financière fournie par Air Algérie afin que les personnes endeuillées puissent retourner auprès de leur famille.

«C'est un homme très fort, a tenu à dire Moïse Sanwidi à propos de son père. C'est lui qui nous motive à mettre tout ça dans les mains de Dieu.»

À Gatineau, Mamadou Zoungrana a mis le cap sur le Burkina Faso vendredi soir. Le technologue de l'hôpital de Buckingham a perdu sa femme et ses garçons de 6 et 13 ans dans l'accident. Il les attendait depuis deux ans. Le vol qui devait enfin permettre à la famille de commencer une nouvelle vie au Québec ne s'est jamais rendu à destination.

Mamadou Zoungrana a un ami qui partage son désespoir. Comme lui, Yameogo Bassirou, un résidant de Jonquière, attendait que sa famille vienne le rejoindre. Il a lui aussi reçu un coup de fil qui a fait basculer ses grands projets.

Son fils de 13 ans et sa femme ne complèteront jamais le processus d'immigration vers le Canada. «L'intention était qu'ils viennent me rejoindre et qu'on se construise une vie, a expliqué M. Bassirou. Le parrainage était presque à terme. Si la tragédie n'était pas survenue, ils seraient arrivés bientôt.»

Yameogo Bassirou ne retournera pas dans son pays natal; il a trimé trop dur pour se construire une vie ici. Il continuera plutôt à s'imaginer ce qu'aurait été son quotidien avec les siens. «C'est ma famille. C'est mon tout. C'était inimaginable. On ne peut pas estimer ce qu'ils représentaient pour moi. C'est pour eux que je me battais», a-t-il lancé, résigné à mener la bataille que la vie vient de lui imposer.

- Avec Annabelle Blais, La Presse

Charles Beaudoin, La Tribune

Julien Renaud, Le Quotidien 

et Pierre-Olivier Fortin, Le Soleil