Des centaines de Québécois se sont réunis hier au centre-ville de Montréal pour la traditionnelle Marche des patriotes. Cette manifestation, organisée par les Jeunes patriotes du Québec, la Société Saint-Jean-Baptiste et d'autres organisations civiles, est souvent associée au mouvement souverainiste. Ailleurs au Canada, on fête plutôt la reine Victoria.

La Journée nationale des patriotes est-elle indissociable de l'idée d'indépendance? Pas exactement, nuance Gilles Laporte, historien et président du Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ), avec qui La Presse s'est entretenue.

Q Les thèmes qui émergent des défilés célébrant la Journée nationale des patriotes sont souvent associés à la lutte pour l'indépendance du Québec. À Montréal, la manifestation (d'hier) est d'ailleurs organisée par des groupes indépendantistes. Faut-il comprendre que cette fête est avant tout une célébration des forces souverainistes?

R Il s'agit d'une fête politique, comme la Fête nationale du 24 juin, mais politique ne veut pas dire partisane. Je m'inscris en faux contre ceux qui disent que c'est une fête des souverainistes. D'abord, il faut interroger l'histoire. Les patriotes étaient accessoirement en faveur d'une république indépendante du Bas-Canada. L'idée est arrivée tardivement et n'a pas fait l'unanimité. Louis-Joseph Papineau n'a d'ailleurs jamais clairement porté cette idée, lui qui était plus républicain que souverainiste. Et si les patriotes ont pris les armes, ce n'était pas d'abord et avant tout pour la langue ou les questions identitaires, mais pour davantage de droits politiques. [...] Résumer la Journée des patriotes au projet d'un pays est inexact sur le plan historique.

Q Pourquoi le Québec célèbre-t-il ses patriotes?

R Il s'agit d'abord d'une fête civique, comme on en retrouve ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, où il y a le Martin Luther King Day. Au Québec et au Canada, nous avons peu de ce genre de fêtes. C'est ainsi que cette Journée nationale des patriotes a été décrétée en 2002, sous l'angle de la conquête de nos droits démocratiques. Les patriotes ont quand même revendiqué le suffrage universel, l'abolition de la peine de mort, les procès devant jury, les votes secrets et davantage de pouvoirs pour les élus face à l'Empire britannique.

Q Faut-il s'étonner que l'on fête ailleurs au Canada la reine Victoria, qui était sur le trône lorsque des patriotes ont été pendus au Bas-Canada?

R Allons-y d'un rappel historique. À la mort de Guillaume IV, en mars 1837, Victoria va avoir 17 ans. Elle est couronnée en avril, et le tout premier acte auquel elle donne sa sanction est les résolutions Russell, qui réduisent les pouvoirs des élus et marquent les débuts de la rébellion. [...] À la fin de 1838, au terme de sa première année de règne, elle n'ordonnera pas personnellement les pendaisons, évidemment, mais elle donnera sa sanction à la loi martiale. C'est sous cette loi, appliquée au Bas-Canada en 1838, qu'on exilera du monde en Australie et qu'on pendra 12 patriotes. Mais nuançons... Elle a le dos large, la jeune Victoria! À l'époque, elle est une adolescente, et elle est surtout follement éprise du prince Albert, qu'elle rêve d'épouser. Ça traduit assez bien son insouciance envers la politique, qui est déjà à l'époque entre les mains du Parti whig de Lord Melbourne.

Q Le Haut-Canada a aussi connu une rébellion de patriotes. Pourquoi cela n'est-il pas également célébré ailleurs au pays?

R Il est vrai que l'Ontario et la Nouvelle-Écosse seraient en droit de souligner eux aussi la contribution des patriotes. Mais en général, au Canada anglais, on a une image assez biaisée des patriotes de l'Ontario, particulièrement de William Lyon Mackenzie. On voit son groupe davantage comme des rebelles manipulés par les Américains. D'ailleurs, c'est très intéressant, car le petit-fils du leader des patriotes en Ontario est William Lyon Mackenzie King, qui a été premier ministre du Canada de 1927 à 1948. Lorsqu'il devait gérer la mémoire de son grand-père, considéré par certains comme un rebelle insoumis pratiquement anarchiste, il a fait ériger un monument en son honneur à Niagara Falls. À la mort de Mackenzie King, toutefois, ce monument a été détruit. C'est vous dire comment on a assez promptement réglé le compte des patriotes dans la mémoire collective canadienne-anglaise comme des rebelles crypto-anarchistes.