Plus de 85 % des scientifiques du gouvernement fédéral croient qu'ils feraient face à de la censure ou des représailles s'ils se prononçaient publiquement contre une mesure de leur ministère susceptible de compromettre la santé et la sécurité publique ou de nuire à l'environnement.

C'est ce que révèle un sondage mené par la firme Environics auprès de plus de 4000 scientifiques fédéraux pour le compte d'un syndicat qui les représente. Selon l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), le coup de sonde prouve que ses membres vivent dans un climat de peur depuis que les conservateurs leur ont imposé de nouvelles règles de communication avec les contribuables.

 Ainsi, 90 % des répondants « estiment qu'ils ne peuvent pas parler librement aux médias de leur travail ». La moitié d'entre eux disent pouvoir « donner des exemples d'ingérence politique dans leurs travaux scientifiques qui compromettent la santé et la sécurité des Canadiens ou la durabilité environnementale ». 

 Le quart soutient qu'on leur a demandé d'omettre de l'information ou de la modifier pour des raisons non scientifiques; et plus du tiers ont signalé qu'on les avait empêchés de répondre aux questions du public ou des médias au cours des cinq dernières années. 

 Plus de 70 % croient que « l'ingérence politique réduit la capacité du Canada à élaborer des politiques, des lois et des programmes fondés sur des preuves scientifiques ». C'est particulièrement vrai dans le domaine des changements climatiques, où 63 % des scientifiques d'Environnement Canada et 62 % de ceux du ministère des Pêches et Océans estiment que le gouvernement n'intègre pas les meilleures données scientifiques dans leurs politiques.

 Pas étonnant, dans ce contexte, que les trois quarts des répondants jugent que la communication publique des conclusions d'études scientifiques gouvernementales est devenue trop restreinte au cours des dernières années. 

 « Des scientifiques fédéraux disent vivre dans un climat de peur. C'est un coup de froid provoqué par les politiques gouvernementales qui ne servent pas les Canadiens et les intérêts du public canadien », a dénoncé le chef des communications et des politiques de l'IPFPC, Peter Bleyer. 

Plus de 15 000 scientifiques fédéraux membres de l'IPFPC ont été approchés par la firme Environics pour participer au sondage en ligne. 4 069 ont accepté l'invitation entre le 5 et le 19 juin dernier. La marge d'erreur des résultats du sondage est de plus ou moins 1,6 %, 19 fois sur 20. 

Ce débat sur le musèlement des scientifiques à l'emploi du gouvernement fédéral fait rage depuis déjà plusieurs années. Certaines politiques internes de communications, mise en oeuvre peu après l'arrivée au pouvoir des troupes de Stephen Harper, ont mis le feu aux poudres. Il y a quelques mois, la Commissaire à l'information du Canada, Suzanne Legault, a entrepris une enquête sur ce sujet, afin d'évaluer la situation et de déterminer si l'approche est légale. 

Des préoccupations semblables avaient été soulevées aux États-Unis sous l'administration de George W. Bush. « Pour résoudre le problème, il faut avant toute chose documenter le problème », a noté en point de presse Francesca Grifo, chercheuse principale de l'association américaine Union of Concerned Scientists. L'organisme de scientifiques fédéraux a vécu cette situation au début des années 2000. « Il n'y a aucun espoir de résoudre ces questions si vous ne les comprenez pas entièrement », a ajouté Mme Grifo.