Alors que les États-Unis sont à couteaux tirés avec la Russie, des tensions pourraient maintenant se faire sentir entre Moscou et Ottawa. C'est que d'ici le 6 décembre, le Canada doit communiquer aux Nations unies ses revendications territoriales dans l'Arctique, une région particulièrement convoitée par les Russes en raison de ses importantes ressources gazières et pétrolières.

En vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer ratifiée par Ottawa, le Canada doit communiquer aux Nations unies l'étendue des territoires auquel il prétend d'ici quatre mois. Or, selon Rob Huebert, directeur associé au Centre d'études militaires et stratégiques de l'Université de Calgary, ces revendications territoriales touchant l'Arctique pourraient engendrer des différends avec Moscou. «À partir de ce moment, les mêmes territoires dans l'Arctique pourraient alors être revendiqués par ces deux pays», souligne Rob Huebert.

La Russie a fait part de ses revendications en 2001, mais ces dernières ne satisfont pas aux normes scientifiques énoncées par les Nations unies. Parmi les mêmes zones potentiellement litigieuses, on compte les dorsales Alpha et Lomonossov, situés au nord du bassin du Canada. «On prétend que la Russie n'a pas triché, qu'elle a toujours respecté les règles de droit international, dit-il. Mais la vérité, c'est que la partie n'avait pas encore commencé.»

Si la Russie s'est engagée en cas de litige à s'en remettre au droit international, Rob Huebert souligne que Moscou a déjà enfreint les règles de droit international avec d'autres pays, dont l'Ukraine et la Géorgie. «Il est très difficile de prévoir quelle sera alors l'attitude de la Russie», estime-t-il.

Selon lui, la Russie a déjà envoyé des avions militaires jusqu'aux frontières de l'espace aérien canadien, et ce, sans en avoir l'autorisation comme le demandait le Canada. Par le passé, le premier ministre Stephen Harper et le ministre de la Défense Peter MacKay ont tour à tour soutenu que le Canada devait affirmer sa souveraineté devant «l'agressivité» de la Russie dans l'Arctique.

«Ce qui m'inquiète, c'est que la Russie et le Canada ont fait de l'Arctique un enjeu identitaire et patriotique», observe Stéphane Roussel, professeur titulaire à l'École nationale d'administration publique. «Quand vous commencez à mêler des intérêts financiers à des enjeux identitaires, ces questions deviennent plus sensibles», ajoute-t-il. Ce dernier affirme que la Russie et le Canada ont tout intérêt à trouver un terrain d'entente en cas de litige et à aborder un éventuel différend de façon équitable et objective.

Selon Houchang Hassan-Yari, professeur au Département de science politique au Collège militaire royal du Canada, Ottawa devrait privilégier la négociation pacifique en cas de contentieux. Il ajoute toutefois que le Canada doit être prêt à appuyer ses revendications territoriales par des effectifs militaires. «Si le Canada revendique des territoires, mais qu'il y est absent, quelle crédibilité aura-t-il?», demande-t-il.

Comme le Canada, la Russie lorgne l'important potentiel pétrolier et gazier dont regorge l'Arctique. On estime que le cercle arctique renferme 30% des réserves de gaz et 13% des réserves de pétrole qui n'ont pas encore été découvertes sur la planète.

Michael J. Carley, directeur du Département d'histoire de l'Université de Montréal, est d'avis que le risque de conflits avec Moscou demeure minime. «La Russie n'a ni la volonté ni la capacité de s'engager dans de tels conflits, explique-t-il. Les Russes vont chercher un avantage où ils peuvent le trouver, mais ils le feront dans les limites du droit international».

Un avis que partage le professeur titulaire au département d'histoire à l'Université de Montréal, Yakov M. Rabkin. «En fait, la Russie est une menace illusoire que le gouvernement canadien a intérêt à brandir, car sans menace crédible, il devient beaucoup plus difficile de justifier des dépenses militaires et d'y renforcer sa présence», soutient ce dernier.