Les petits chantiers de travailleurs non syndiqués font les frais de la grève dans le domaine de la construction. Depuis lundi, des dizaines de paysagistes et d'entrepreneurs de partout au Québec racontent qu'ils ont été forcés - par crainte de représailles - d'abandonner pelles et marteaux, même s'ils ne sont pas en grève.

«Tous ceux que je connais se sont fait sortir. Il n'y a personne qui a pu travailler», confie le patron d'une entreprise de la région de Montréal spécialisée dans l'aménagement récréatif. Comme tous ceux qui nous ont parlé, il a demandé que son nom ne soit pas révélé. «Les gens ont peur de stooler. On ne veut pas mettre le feu. Surtout avec des gens comme ça», dit-il.

Lundi et mardi, ses deux chantiers de la couronne nord ont reçu la visite de syndiqués mécontents de voir que des travailleurs étaient toujours à l'oeuvre.

Le hic? Aucun des employés ciblés n'est membre d'un syndicat. «Ils n'ont même pas fait d'études en construction.»

À plusieurs endroits

À Joliette, les grévistes sont arrivés dans un vrombissement de motocyclettes et auraient menacé les employés qui installaient des structures de jeux de «tout casser» s'ils ne partaient pas. «Les gars ont écouté. Ils ne vont quand même pas se battre à coup de pelles», raconte le patron.

Le lendemain, c'est un chantier de Repentigny qui a été évacué.

«Je leur ai expliqué qu'on n'est pas en grève, qu'on les appuie, mais qu'on est des travailleurs saisonniers et qu'on ne peut pas se permettre de perdre des journées. Ils ont répondu: «On s'en câlisse. Tu t'en vas. On sort même les planteux de fleurs.»

Des incidents comme ceux-là, l'Association des paysagistes professionnels du Québec en recense plusieurs dans la province. La situation est jugée assez inquiétante pour que l'organisme ait demandé à ses membres de lui faire part des accrochages, explique Sabine Moulron, adjointe administrative. Les réponses ont fusé.

Un entrepreneur de Saint-Hyacinthe affirme avoir été forcé par des grévistes d'arrêter d'installer de la tourbe. Un autre dit avoir fait l'objet de menaces de représailles «s'ils voyaient nos camions sur un projet». Un troisième explique avoir été «sorti d'un chantier» de Trois-Rivières où il faisait des plantations. «Disons que je n'ai pas trop bronché, vu la grosseur des bonshommes qui me disaient de sortir.»

Dans un domaine connexe, un petit entrepreneur a confié à La Presse avoir eu si peur d'aller installer du pavé uni chez son client, hier matin, qu'il est resté chez lui. Un couvreur qui travaillait rue Drolet, dans le quartier Villeray, a pour sa part reçu la visite de 80 hommes. «Ils voulaient faire fermer le chantier. Mais on ne pouvait pas laisser le toit ouvert. La police est venue. Ils ont dit que s'ils nous repognaient, ils casseraient notre camion.»

Le mot d'ordre de l'Alliance syndicale

À l'Alliance syndicale de la construction, on ne nie pas les dérapages. «Ça peut arriver qu'il y ait des erreurs. Mais le mot d'ordre est clair. On ne touche pas aux chantiers non syndiqués. On laisse les gens travailler, dit un porte-parole. Toutefois, les limites [entre ceux qui sont en grève et ceux qui ne le sont pas] sont floues. Même nos membres en perdent leur latin. Et pour eux, c'est très sensible de voir des gens travailler alors qu'ils sont en grève. On fait de l'éducation.»

L'Alliance se réjouit du fait qu'à ce jour, les interventions dans les chantiers - syndiqués ou non - qui continuent à rouler malgré la grève n'ont pas dégénéré. «On est très contents de nos membres.»

Le Service de police de la Ville Montréal confirme que malgré plusieurs interventions, aucun dérapage n'a été signalé.