Attention, l'ennemi terroriste s'infiltrerait à l'intérieur des aéroports occidentaux. Signe particulier: il peut prendre l'allure d'un bagagiste, d'un employé de sécurité ou d'un vendeur de boutiques hors taxes. Source d'inquiétude: il s'est radicalisé après avoir passé l'étape des vérifications de sécurité liées à son embauche.

La GRC a récemment lancé aux gestionnaires d'aéroports et de compagnies aériennes un pressant appel à la vigilance au sujet de leurs employés. Elle leur demande de prêter une attention particulière aux signes de radicalisation de leur personnel, mais sans jamais évoquer nommément Al-Qaïda ou un autre groupe inspiré par la doctrine du djihad salafiste mondial. Quant aux «signes possibles de radicalisation», ils sont détaillés dans un rapport qui ne nous a pas été communiqué.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et les quelques tentatives ratées qui ont suivi, on a consacré les budgets de sécurité surtout au filtrage des passagers. Or, l'analyse de plusieurs complots «extrémistes» mettrait plutôt en lumière l'implication de plus en plus fréquente d'employés ayant accès aux zones contrôlées des aéroports.

C'est ce que révèle un bulletin rédigé par la section des renseignements criminels relatifs aux infrastructures essentielles (RCIE) de la GRC, que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Cet avertissement s'appuie sur les conclusions d'une «récente étude mondiale des RCIE», qui démontrerait que les aéroports «sont particulièrement vulnérables aux menaces internes».

«Beaucoup de ces employés associés à des complots extrémistes» s'intéressaient en priorité à «certains aspects précis de la sécurité des aéroports», dit la GRC. Ces taupes plutôt curieuses «s'informaient sur le fonctionnement des appareils de radioscopie, [...] sur l'attention que les contrôleurs portent aux chaussures et aux liquides que les passagers peuvent transporter avec eux [...] et sur les voies d'évasion après un attentat», apprend-on.

Ces employés profiteraient ainsi de leur statut privilégié pour préparer un complot, recueillir des renseignements destinés à des tiers ou éventuellement recruter des complices.

Une «infime» minorité

Là où la situation se complique pour les forces de sécurité, les agences de renseignement et les unités de lutte contre le terrorisme, c'est que seule une «infime minorité» de ces employés «se sont fait embaucher exclusivement pour mener à bien leur complot».

«Dans la plupart des cas», note-t-on, ils ont adhéré à l'extrémisme bien après, et «principalement par l'internet» en consultant des forums et des sites extrémistes, tel Inspire.

Bref, les employeurs doivent guetter les signes potentiels de radicalisation dans leur personnel, conclut la GRC.

Au Royaume-Uni, en février dernier, Rajib Karim, employé de British Airways, a été reconnu coupable sous quatre chefs d'accusation de complot terroriste, en l'occurrence un attentat-suicide contre un avion.

«Karim appartient à une catégorie particulièrement dangereuse, celle des extrémistes qui infiltrent les entreprises les plus susceptibles, selon eux, de faciliter leurs attentats», dit la GRC dans une autre Évaluation RCIE obtenue par La Presse.

Et une fois encore, les policiers canadiens insistent sur «l'importance de surveiller les signes potentiels de radicalisation» du personnel.

Au cours des dernières années, tant la vérificatrice générale du Canada que le Comité sénatorial sur la sécurité nationale ont montré du doigt les failles dans la sécurité des aéroports canadiens, en particulier dans les zones dites réglementées, non accessibles aux passagers. «Ma plus grande crainte est ce qui se passe dans les coulisses, a écrit en 2009 le sénateur Colin Kenny dans une lettre ouverte. Les fouilles d'employés côté piste sont aléatoires et rares. Transports Canada a avoué que seulement 1 travailleur sur 50 était fouillé. Un travailleur m'a confié ne pas avoir été fouillé depuis deux ans. Pensez-y! Près de 100 000 personnes travaillent dans des aéroports canadiens.»

Transports Canada, qui délivre les laissez-passer aux employés des aéroports après enquête du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), semble ne pas avoir pris de mesures particulières à la suite de cette alerte. L'ACSTA, responsable du contrôle des passagers, explique que ses agents «ont accès, 24 heures sur 24, à une ligne sécurisée par laquelle ils peuvent rapporter tout événement ou inquiétude qui pourrait compromettre la sécurité».

En 2005 et 2006 en France, à la suite d'une enquête de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, des dizaines d'employés musulmans de l'aéroport de Paris-Roissy ont vu leur carte d'accès révoquée en raison de leur appartenance présumée à la mouvance islamiste.

- Avec la collaboration de William Leclerc