Malgré les contre-indications de professionnels de la santé, le gouvernement du Canada compte expulser, demain, une femme qui souffre d'une grossesse à risque. Mariée à un citoyen canadien, la future mère de 42 ans craint de se retrouver seule et ostracisée dans un pays où les soins de maternité sont presque inexistants.

Sayon Camara a quitté la Guinée pour le Canada il y a quatre ans. La femme de 42 ans a fui un mari violent dont elle était la troisième femme. Celui-ci lui a infligé des sévices si cruels que son corps est marqué à jamais de cicatrices, dont une brûlure au fer à repasser sur le sein gauche.

 

À son arrivée au pays en 2006, Mme Camara a demandé le statut de réfugiée. Sa requête a été rejetée un an plus tard.

Entre-temps, elle s'est liée d'amitié avec Abdoul Sow, un homme de 47 ans issu de la communauté guinéenne de Montréal. En mars 2008, ils se sont mariés dans une mosquée de la métropole.

Or, les autorités canadiennes refusent de reconnaître leur union. Selon l'avocat de Mme Camara, Stuart Istvanffy, Citoyenneté et Immigration Canada a conclu qu'il s'agissait d'un mariage fait pour éviter l'expulsion, l'argument principal étant que M. Sow a travaillé quelques mois dans l'Ouest canadien.

«Tout ce que je veux sur cette terre, c'est passer ma vie avec elle, dit M. Sow, qui travaille aujourd'hui comme commis d'épicerie à Saint-Laurent. La renvoyer en Guinée, c'est risquer de la livrer à la mort.»

Grossesse à risque

Il y a environ six mois, Mme Camara est tombée enceinte. Un grand bonheur pour le couple, d'autant plus que Mme Camara a fait une fausse couche à l'hiver 2009.

«Malgré notre mariage devant toute la communauté guinéenne et le fait que nous allons avoir un enfant, ma demande pour parrainer ma femme a été refusée. Je ne comprends pas ce qu'ils veulent de plus. Nous sommes même disposés à faire un test de paternité», a indiqué M. Sow.

Le 25 janvier, le couple a reçu un appel. L'Agence des services frontaliers du Canada leur a annoncé que Mme Camara devait se présenter à l'aéroport le 19 février pour son expulsion.

«Ma femme a été prise de panique. Elle ne voulait pas partir, car elle se sentait malade. Elle est allée se cacher chez l'une de ses amies sans m'avertir. Le jour de l'expulsion, je l'ai cherchée partout, en vain. À son retour, je l'ai remise aux autorités, qui l'on fait détenir plusieurs jours.»

Lors de son séjour en détention, Mme Camara a reçu les résultats d'examens médicaux. Son médecin a découvert qu'elle souffre depuis plusieurs années de diabète de type 2. Conjuguée à un âge avancé et à un problème d'obésité, cette maladie est dangereuse pour les vies de la mère et de l'enfant.

«On parle d'une femme de 42 ans qui est obèse et qui doit se piquer à l'insuline environ cinq fois par jour, a expliqué sa sage-femme, Isabelle Brabant. Les risques de malformation, de macrosomie et de mort intra-utérine du bébé sont très élevés, tellement qu'aujourd'hui, elle est suivie à la clinique de grossesse à risque de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.»

Vendredi, Mme Camara a été convoquée à une rencontre au cours de laquelle on lui a annoncé qu'elle serait finalement expulsée demain. Lors de la rencontre, Mme Brabant a déposé une lettre cosignée avec le médecin de Mme Camara expliquant les risques de la grossesse. Malgré cela, la femme enceinte a été emprisonnée au Centre de prévention de l'immigration à Laval.

«Ça n'a pas de bon sens. C'est une patiente qui a besoin d'échographies périodiques et de soins spécialisés qui ne sont pas offerts en Guinée, a déploré Isabelle Brabant. Il n'y a pas de famille richissime qui l'attend. On met clairement en jeu la santé et la vie de l'enfant. Et ce, sans compter le stress de la détention et du voyage.»

«Il y a clairement de l'acharnement dans ce cas-là. On est face à des fonctionnaires zélés», a ajouté Anne-Marie Bellemare, travailleuse sociale attitrée au dossier qui a travaillé quatre ans au Centre de prévention de l'immigration.

Selon un rapport de l'UNICEF intitulé La situation des enfants dans le monde 2009, 150 enfants sur 1000 nés en Guinée trouvent la mort avant l'âge de 5 ans. Ce taux de mortalité infantile est 25 fois plus élevé que celui du Canada.

Le directeur des communications du bureau du ministre de l'Immigration, Jason Kenny, n'a pas voulu répondre aux questions de La Presse, invoquant la Loi sur la protection des renseignements personnels. «Lorsque quelqu'un a utilisé tous ses recours légaux, comme il est stipulé dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, l'ordre d'expulsion doit être exécuté dans les plus brefs délais», a écrit Alykhan Velshi dans un courriel.

Cet après-midi, une requête en révision de détention sera entendue au complexe Guy Favreau, à Montréal. Une procédure de demande d'aide humanitaire et de compassion est également pendante. Des groupes communautaires tiendront une conférence de presse dans le hall de l'établissement pour dénoncer la situation aujourd'hui à midi.