Des dizaines de condos de trois projets immobiliers en construction ont récemment été réduits en cendres à Montréal. Sabotage? Pyromanie? Vandalisme? Ces incendies d'origine suspecte sont toujours sous enquête et les promoteurs de ces chantiers errent en plein brouillard. Retour sur ces événements.

Fin novembre. Des employés d'une compagnie d'après-sinistre arrosent à l'aide de puissants jets d'eau les fondations en béton couvertes de suies d'un chantier situé sur la rue Pauline-Julien, entre les rues Gerry-Boulet et Chambord.

Une quinzaine de condos en construction de ce projet immobilier du Plateau Mont-Royal ont été rasés par les flammes dans la nuit du 26 novembre dernier. L'incendie a forcé le déploiement d'environ cent pompiers, qui ont pu sauver une partie de la structure en flammes. La force du brasier a entraîné l'évacuation d'une centaine de résidents du voisinage.

La Section des incendies criminels du Service de police de la ville de Montréal mène l'enquête.

En attendant, le chantier renaît déjà de ses cendres.

Armés de leurs boyaux d'arrosage, les employés en sinistre s'affairent à effacer les dernières marques de l'incendie. Les charpentiers, eux, commencent à rebâtir. «Dire qu'on était rendu au troisième étage, la plomberie était installée», soupire un jeune ouvrier.

Le promoteur du chantier, Jean Bouchard, croit que l'incendie porte la signature d'un pyromane. «Je travaille avec les mêmes sous-contractants depuis dix ans et je n'ai pas d'ennemi, je ne vois pas autre chose que ça», explique-t-il. Le promoteur a construit 720 condos depuis 1999, dans le cadre du projet Les cours du parc Laurier.

Il ne lui en reste que 51 à construire avant de boucler ce parc immobilier, incluant les 15 unités incendiées.

Selon M. Bouchard, des témoins auraient aperçu deux incendiaires déguerpir après le début de l'incendie. «Il n'y aura aucun délai pour la livraison de nos condos. On a perdu notre avance, mais ils seront prêts pour notre échéance prévue en mai 2010», se console le promoteur.

30 logements détruits

Quelques jours auparavant, dans la nuit du 20 novembre, c'était au tour d'une trentaine de logements d'un chantier de Rosemont-La-Petite-Patrie de flamber. Le tiers d'un projet de 90 unités d'une coopérative d'habitation verra le jour au coeur d'un tout nouveau secteur résidentiel d'envergure, baptisé Projet Quartier 54, tout près du métro Rosemont. Les logements détruits font partie d'un projet de mise en valeur des ateliers municipaux de Rosemont.

«Le chantier a été commencé en avril et la moitié du projet était terminé. La livraison des logements est prévue en juillet et il faudra mettre les bouchées doubles pour y arriver. C'est vraiment dommage que ça arrive», souligne Josée Gaudreault, agente de développement pour l'organisme Bâtir son quartier.

Chaleur intense rue Cool

L'intensité du brasier était telle dans un édifice en construction de Verdun dans la nuit du 20 novembre, que des fenêtres et la porte d'un duplex voisin ont littéralement fondu.

Environ deux semaines plus tard, une pelle mécanique s'affairait à démolir les fondations en béton calcinées des six logements ravagé par les flammes.

Ces condos font partie du Projet Cool, un chantier de 23 condominiums sur la rue du même nom. Le promoteur immobilier Claude Leclerc ignore qui aurait voulu compromettre son projet. Ce dernier n'a selon lui suscité aucune controverse. «Des voisins ont dit avoir entendu trois explosions. Ça pourrait être des cocktails Molotov», suggère M. Leclerc, Des jeunes auraient peut-être ciblé son chantier dans le cadre d'une initiation, croit-il. «Ça fait 35 ans que je suis promoteur à Verdun. Mes compétiteurs sont des amis. Un pyromane travaille toujours seul et des voisins ont vu trois jeunes courir sur les lieux le soir de l'incendie», renchérit le promoteur.

Plusieurs de ses condos étaient vendus et les propriétaires devaient s'y installer au printemps. Le pire, selon Claude Leclerc, est que plusieurs de ses employés se retrouvent sans travail prématurément, à l'aube de l'hiver. «Des hommes s'étaient mis disponibles pour travailler à ce projet. Là, ils se retrouvent le bec à l'eau», déplore-t-il.

Joint par La Presse, Robert Quévillon, commandant à la Section des incendies criminels de la police de Montréal, dit avoir encore beaucoup de travail à faire dans ces dossiers. Son service en a déjà plein les bras avec les 13 attaques aux cocktails Molotov dans des cafés italiens et cette vague d'incendies sur le Plateau Mont-Royal en cours depuis l'été dernier.

Photo: Patrick Sanfaçon, La Presse

Dans la nuit du 20 novembre, un incendie a détruit une trentaine de logements d'un chantier du quartier Rosemont-La-Petite-Patrie.

Faubourg Contrecoeur: le mystère persiste

Lorsqu'on parle d'incendies suspects dans des chantiers en construction, difficile de passer sous silence celui qui a rasé 96 condos du controversé projet immobilier du Faubourg Contrecoeur en avril dernier.

Le feu s'était rapidement propagé sur six immeubles en construction de l'immense site de l'est de l'île, appartenant au promoteur Construction Frank Catania et associés. Les travaux étaient alors suspendus en raison d'un litige entre le promoteur, la SHDM et la Ville. La Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) avait racheté le terrain à la Ville et l'avait par la suite vendu à l'entreprise Catania à un prix inférieur à l'évaluation municipale. Martial Fillion, le directeur général de la SHDM, avait alors été congédié après que la firme de vérification KPMG eut levé le voile sur certaines irrégularités dans le dossier.

Dans son rapport sur le projet du Faubourg Contrecoeur, le vérificateur général de la Ville de Montréal a confirmé plus tard que l'administration Tremblay n'avait pas tenu compte de l'avis de ses propres fonctionnaires lorsqu'est venu le temps de fixer le prix de vente du terrain.Plusieurs mois plus tard, la police n'est toujours pas en mesure de commenter le dossier, ni même d'affirmer avec exactitude s'il s'agit d'un incendie criminel.

Les travaux de construction ont repris et la date de livraison des condos incendiés a été repoussée à juillet prochain, soit environ un an plus tard que prévu. Les assureurs ont accepté de dédommager le promoteur, souligne Philippe Roy, porte-parole chez Construction Catania. Selon lui, la majorité des acheteurs affectés par l'incendie ont accepté d'être relocalisés dans un autre condo du vaste site, qui abritera 1865 unités d'habitation.

Le promoteur ignore toujours les causes de l'incendie, mais demeure convaincu qu'il n'a strictement rien à voir avec le litige qui avait cours avec la Ville. «On s'est fait dire que des jeunes squattaient dans un des immeubles et auraient mis le feu», souligne Philippe Roy.

Photo: Patrick Sanfaçon, La Presse

Un incendie suspect a rasé 96 condos du controversé projet immobilier du Faubourg Contrecoeur en avril dernier.