Deux anciens chefs d'une commune religieuse isolée de la Colombie-Britannique ont été reconnus coupables d'avoir pratiqué la polygamie, lundi, au terme de longues procédures judiciaires lancées par le gouvernement provincial.

Winston Blackmore, âgé de 60 ans, était marié à Jane Blackmore, et avait épousé 24 autres femmes lors de cérémonies de mariage «célestes» dans la communauté de Bountiful.

Son coaccusé, James Oler, âgé de 53 ans, était accusé d'avoir marié cinq femmes, et il a lui aussi été reconnu coupable de polygamie.

Winston Blackmore ne démontrait pas de remords à la suite du jugement.

«Je suis coupable d'avoir vécu selon ma religion et c'est tout ce que je dis aujourd'hui (lundi), car je n'ai jamais nié cela», a-t-il affirmé à des journalistes.

«Vingt-sept ans et des dizaines de millions de dollars, et tout ce qui a été prouvé est quelque chose que nous n'avons jamais réfuté. Je n'ai jamais nié ma foi.»

La juge Ann Donegan, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a estimé que la preuve démontrait que M. Blackmore était un membre pratiquant de l'Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours (FLDS en anglais), une secte d'origine mormone qui croit au mariage polygame.

«Son adhérence aux pratiques et croyances de la FLDS n'est pas contestée», a-t-elle déclaré en lisant son jugement.

«M. Blackmore (...) n'a pas nié sa croyance dans ses déclarations à la police en 2009. Il a parlé ouvertement de sa pratique de la polygamie», a-t-elle ajouté.

Winston Blackmore s'était fait montrer une liste de ses femmes présumées et s'était contenté d'apporter deux corrections aux informations, a précisé la juge.

«M. Blackmore a confirmé que tous ses mariages étaient des mariages célestes conformément aux règles et pratiques de la FLDS.»

Le procès de 12 jours qui s'est déroulé cette année a permis d'entendre plusieurs spécialistes de la religion mormone, des policiers qui ont travaillé sur cette enquête et Jane Blackmore, une ex-femme de l'accusé qui avait quitté la communauté en 2003.

La juge Donegan a salué le témoignage de cette femme, la décrivant comme un témoin hautement crédible et fiable.

«C'était un témoin minutieux. Il n'y avait rien de forcé ou de préparé. Elle était impartiale», a-t-elle soutenu­.

Polygamie et Constitution

L'avocat de l'accusé, Blair Suffredine, avait déjà prévenu la cour qu'il allait contester la constitutionnalité des lois canadiennes sur la polygamie si son client était condamné.

James Oler s'était représenté lui-même pendant le procès, mais il avait aussi bénéficié des services de Joe Doyle, un «ami de la cour» nommé pour s'assurer qu'il reçoive un procès juste et équitable, mais qui ne pouvait toutefois pas offrir de conseils juridiques.

Joe Doyle avait souligné que les dossiers saisis par la police dans un ranch au Texas en 2008 ne rendaient pas compte d'éléments importants, dont la promotion de son client parmi les doyens de la communauté en juin 2004. Il avait aussi plaidé que la Couronne n'avait pas réussi à prouver que M. Oler avait pratiqué la polygamie de façon continue entre 1993 et 2009.

L'avocat de M. Blackmore avait aussi attaqué la fiabilité des actes de mariage et des dossiers personnels des membres aux États-Unis et au Canada.

La juge a toutefois rejeté cet argument. «Je trouve que les actes de mariage de la FLDS sont fiables», a-t-elle tranché.

L'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, le principal mouvement mormon établi en Utah, a officiellement renoncé à la polygamie à la fin du XIXe siècle et nie tout lien avec la forme de mormonisme pratiquée par la secte.

MM. Blackmore et Oler ont été accusés de polygamie en 2014 pour la deuxième fois, plus de deux décennies après que des allégations de polygamie, d'agression sexuelle et de traite d'enfants ont fait surface.

Les accusations représentaient le point culminant d'une série d'enquêtes et de tentatives ratées d'accuser les représentants de la communauté depuis le début des années 1990.

En 2014, on estimait que la communauté comptait toujours quelque 1000 résidants.

Auparavant, l'incertitude planait sur la possibilité que la section du Code criminel interdisant la polygamie viole les droits religieux protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. En 2011, la Cour suprême de la Colombie-Britannique avait toutefois confirmé que la loi est constitutionnelle et que la polygamie est un crime.

Selon ce cas de référence constitutionnel, les torts causés par la polygamie pesaient plus lourd dans la balance que la liberté de religion puisque cette pratique peut entraîner des agressions physiques et sexuelles, des mariages de mineurs, la soumission de femmes et l'expulsion de jeunes hommes qui n'ont plus de femmes à marier.

PHOTO archives La Presse canadienne

James Oler