Michel Cadotte - cet homme accusé d'avoir tué sa femme atteinte d'Alzheimer - a posé un geste qui «attaque l'intégrité du système qu'on tente d'implanter» avec la loi sur l'aide médicale à mourir, selon la poursuite.

Si l'accusé avait voulu contester la loi, il aurait dû s'adresser aux tribunaux, et non pas étouffer sa femme avec un oreiller alors que cette dernière n'était pas apte à consentir, a plaidé le procureur de la Couronne Antonio Parapuf, ce jeudi à l'enquête sur remise en liberté de Michel Cadotte au palais de justice de Montréal.

«C'est précisément le genre de geste qu'on tente d'éviter avec la loi sur l'aide médicale à mourir. Ce geste attaque l'intégrité du système qu'on tente d'implanter», a insisté la poursuite.

La Couronne s'oppose à sa libération car elle croit que cela minerait la confiance du public en l'administration de la justice. De son côté, la défense affirme qu'un public bien informé ne serait pas choqué d'une telle libération.

«M. Cadotte n'est pas le Dr Morgentaler. Il n'a pas de cause à défendre. C'est juste un homme ordinaire empêtré dans la maladie, la détresse», a insisté pour sa part Nicolas Welt, avocat de l'accusé.

L'accusé - qui poursuivait son témoignage pour une seconde journée - affirme que sa femme - Jocelyne Lizotte - est morte «dans la dignité». Très émotif, il a admis au tribunal avoir «étouffé» sa femme avec un oreiller.

Mme Lizotte, 60 ans, souffrait d'Alzheimer depuis 2006. Elle ne parlait plus. Elle ne marchait plus. Elle portait des couches. Elle ne reconnaissait plus personne. Elle était placée sous contention 24h sur 24.

Son conjoint était le seul à continuer à la visiter au CHSLD Émilie-Gamelin situé à Montréal. Même ses propres fils n'y allaient plus.

L'accusé affirme que sa femme y était «maltraitée» notamment, car on la forçait à prendre des douches tôt le matin alors que ça l'agressait. Les préposés - débordés toujours selon l'accusé - n'avaient plus le temps de la faire marcher si bien qu'elle avait développé des plaies de lit. L'accusé la changeait lui-même de couches parfois car les employés du CHSLD n'avaient pas le temps.

M. Lizotte a placé sa femme en CHSLD en 2014. Il dit avoir déjà porté plainte au Protecteur du citoyen et à l'ombudsman de l'établissement car elle ne recevait pas tous les soins dont elle avait besoin.

L'accusé a demandé l'aide médicale à mourir au nom de sa femme en 2016 mais cette dernière ne remplissait pas tous les critères. Il a raconté que ce refus l'avait beaucoup ébranlé surtout que sa femme avait signé un mandat d'inaptitude - lequel à ses yeux équivalait à un consentement même si au moment de faire la demande d'aide elle n'était plus apte à consentir.

Contre-interrogé par la poursuite, l'accusé a soutenu qu'il avait tué sa femme «principalement par compassion», mais aussi un peu «par colère».

Le 20 février dernier, lorsqu'il est arrivé dans la chambre de sa femme, cette dernière avait la tête tombée sur l'épaule. «J'étais fâché, a-t-il admis, Ça faisait une centaine de fois que je disais aux préposés de lui mettre son appuie-tête. Ne me faites pas croire qu'elle n'avait pas mal au cou.» C'est là qu'il a décidé de la tuer. «Vous vouliez qu'elle meurt?», a insisté le procureur de la Couronne. «Qu'elle arrête de souffrir», a répondu l'accusé, en ravalant ses sanglots.

«Je me suis dit que plus personne ne pourra lui faire du mal, a-t-il poursuivi. Quand j'ai mis l'oreiller, je le savais, elle allait arrêter de souffrir.» L'accusé a dit trouver particulièrement pénible de témoigner aujourd'hui - le 15 juin - puisque c'est l'anniversaire de naissance de sa femme.

«J'aurais aimé que ça se finisse normalement, avec une maladie, ou que son coeur s'arrête, j'avais espoir qu'elle me reconnaisse encore une fois», a-t-il dit, en refoulant ses sanglots.

Le juge Michel Pennou rendra sa décision sur la remise en liberté de l'accusé le 7 juillet. D'ici là, l'accusé reste détenu. Son enquête préliminaire doit se tenir plus tard cet été.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

L'enquêteur Marco Breton et le procureur Antonio Parapuf