Les hospitalisations en raison d'une intoxication aux opioïdes ont augmenté de moitié depuis 10 ans au pays, et la tendance s'accélère depuis 3 ans. Et pour la première fois, une étude de Statistique Canada sur le profil des victimes révèle que la crise touche particulièrement les membres des Premières Nations ainsi que les personnes à faible revenu.

HAUSSE DES HOSPITALISATIONS DE 53 %

Le nombre d'hospitalisations en raison d'une intoxication aux opioïdes a augmenté de moitié depuis 10 ans, selon l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS). « C'est quand même important. Et on constate que presque la moitié de cette augmentation s'est produite au cours des trois dernières années », dit Christina Lawand, chercheuse principale de ce groupe.

L'an dernier, 17 personnes par jour ont été hospitalisées à la suite d'une intoxication aux opioïdes. C'est quatre de plus qu'il y a trois ans. À ces hospitalisations s'ajoutent les surdoses mortelles : 11 morts surviennent en moyenne chaque jour. « Les préjudices causés par les opioïdes sont très importants au pays », constate Mme Lawand. Après les États-Unis, le Canada est au deuxième rang des pays les plus touchés par la crise des opioïdes.

AUTOCHTONES 4 FOIS PLUS À RISQUE

Devant l'ampleur de la vague, Statistique Canada a décidé de dresser le profil des personnes hospitalisées afin de mieux cibler la prévention et les traitements. « La crise des opioïdes a des répercussions plus importantes sur plusieurs groupes, notamment les itinérants, les détenus et les personnes issues d'une Première Nation », conclut ce rapport rendu public cette semaine. Les membres des Premières Nations sont en effet près de quatre fois plus à risque de subir une intoxication aux opioïdes.

Statistique Canada a recensé chez les autochtones 38,4 hospitalisations par 100 000 habitants, alors que le taux était de 10,9 dans le reste de la population. La crise est particulièrement importante dans les réserves, où le taux grimpe à 61,2 cas par 100 000 habitants. C'est deux fois la proportion chez les autochtones vivant hors réserve. À l'inverse, les minorités visibles sont nettement moins susceptibles d'être victimes d'une intoxication, car celles-ci affichent un taux de 2,9 hospitalisations par 100 000 habitants.

FAIBLES REVENUS, PLUS TOUCHÉS

Statistique Canada a également observé une corrélation entre les revenus et le risque d'hospitalisation. Ainsi, les personnes ayant les plus faibles revenus se sont retrouvées nettement plus souvent à l'hôpital en raison d'une intoxication aux opioïdes que les plus fortunés.

Le statut d'emploi semble également avoir un impact. Chez les personnes en emploi, l'étude a recensé 5,5 hospitalisations par 100 000 habitants. Chez les chômeurs, le taux grimpe à 17 cas et il atteint 22,5 dans la population inactive.

RISQUE DANS LES VILLES MOYENNES

La taille des villes semble également avoir une influence. Les données indiquent que les centres urbains de taille moyenne, soit de 30 000 à 100 000 habitants, présentent un taux d'hospitalisation deux fois plus élevé que dans les grandes villes.

Les petites localités sont davantage touchées que les grandes, mais nettement moins que celles de taille moyenne. Statistique Canada constate également que les taux d'hospitalisation sont plus élevés dans l'ouest du pays, notamment en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan, ainsi que dans les territoires.

LE QUÉBEC DAVANTAGE ÉPARGNÉ

La crise des opioïdes se fait moins sentir au Québec, où la hausse des hospitalisations est plus faible. En 10 ans, le nombre de cas est passé de 8 hospitalisations par 100 000 habitants à près de 10. En comparaison, le taux a doublé en Colombie-Britannique durant cette période, passant de 15 à près de 30.

Le cas du Québec intéresse particulièrement les chercheurs puisque la province permet d'établir un lien entre la prescription des opioïdes et les hospitalisations et les surdoses mortelles. C'est en effet au Québec qu'il se prescrit le moins d'opioïdes au pays. On y recense l'équivalent de 3500 doses thérapeutiques par année par 1000 habitants, contre 5500 pour la moyenne canadienne. « C'est une crise qui est très complexe, dont une partie provient d'une surprescription en Amérique du Nord. On a surprescrit les opioïdes, ça a créé des dépendances dans la population et ouvert la porte au marché noir », résume Christina Lawand.

MEILLEURE FORMATION ?

Le fait que la crise des opioïdes frappe moins fort le Québec pourrait être la conséquence d'une amélioration de la formation des médecins québécois, évalue Marie-Ève Morin, médecin de famille travaillant dans le domaine de la dépendance et de la santé mentale. « Au Québec, on traite bien et de mieux en mieux la dépendance aux opioïdes.

Depuis quelques années, on a beaucoup poussé sur la formation des jeunes médecins. » Ceux-ci sont incités à traiter la dépendance développée par leurs patients en misant sur des produits comme la méthadone. « Ça sauve des vies », dit Mme Morin. Elle ajoute que le Collège des médecins a également multiplié les mises en garde sur la surprescription des opioïdes.

LES PERSONNES ÂGÉES PLUS À RISQUE

Le risque d'hospitalisation augmente selon l'âge, permet de constater l'étude de Statistique Canada. Cette situation s'explique en grande partie par le fait que les personnes âgées se font davantage prescrire l'utilisation d'opioïdes. Christina Lawand souligne toutefois que la hausse des hospitalisations a été plus forte chez les jeunes de 15 à 24 ans, chez qui les intoxications ont doublé, signe que le marché noir semble avoir pris de l'ampleur.

À noter, les données indiquent que les femmes sont plus à risque d'être hospitalisées à la suite d'une intoxication aux opioïdes. Statistique Canada a recensé 13,6 cas par 100 000 habitants, contre 10,2 chez les hommes. Les hommes sont toutefois surreprésentés dans les morts.

HAUSSE DES SURDOSES MORTELLES DE 8 %

Ces données sur les hospitalisations concordent avec celles sur les surdoses mortelles, constate Statistique Canada. Loin d'être endiguée, la crise continue à prendre de l'ampleur. Le pays a déploré la mort de tout près de 4000 personnes en 2017. Et pour les trois premiers mois de 2018, déjà 1036 morts ont été enregistrées, soit 8 % de plus qu'à pareille date l'an dernier.