Dans la foulée des récentes fugues d'adolescentes happées par l'univers de la prostitution juvénile, la police de Laval a dévoilé mercredi une opération historique contre une dizaine d'hommes qui seront accusés d'avoir sollicité les services sexuels de mineures. Et cette première vague d'arrestations n'est qu'un début, préviennent les enquêteurs.

Les disparitions d'adolescentes et leur exploitation par le commerce du sexe, que ce soit dans les centres jeunesse ou ailleurs, ont été une préoccupation constante à Laval et ailleurs, ces derniers mois. Un vérificateur spécial nommé par Québec a déterminé le mois dernier que les fugues étaient en hausse dans toute la province et conclu qu'il fallait en faire une « priorité », en commençant par les adolescentes contrôlées par des proxénètes.

La police de Laval était déjà en train de revoir ses techniques d'enquête lorsque le rapport est tombé. « En matière de prostitution, autrefois, ça passait par des annonces dans le journal, mais maintenant c'est surtout sur le web. Et on a remarqué que plusieurs fugueuses apparaissaient sur certains sites. C'est sur ces sites qu'on a mis nos annonces », explique l'inspecteur Martin Évangéliste, de la Division du crime organisé.

FAIRE PRESSION SUR LA DEMANDE

Un des principes de base d'une économie de marché est que s'il y a une grande demande pour un produit ou un service, de nombreux fournisseurs s'empresseront de l'offrir afin de profiter de cette occasion d'affaires. Y compris lorsqu'il s'agit de prostitution juvénile.

Pour combattre le phénomène, la police de Laval a donc décidé de faire fortement pression sur la demande en frappant les clients.

Les enquêteurs ont appâté les clients avec de fausses annonces sur les sites offrant des services sexuels où on avait retrouvé la trace de fugueuses adolescentes récemment. Ils précisaient clairement dans leurs communications que l'offre concernait une prostituée mineure. Dans les faits, aucune jeune fille n'était mêlée à l'opération.

Plusieurs suspects ont rapidement mordu à l'hameçon, les 22 et 23 mars dernier.

Dix d'entre eux, des hommes âgés de 37 à 72 ans, font maintenant face à des accusations d'avoir communiqué avec une personne en vue d'obtenir contre rémunération les services sexuels d'une personne mineure. Huit ont comparu au palais de justice de Laval mercredi. Ils demeurent en liberté dans l'attente de leur procès. Deux autres n'ont pas encore comparu.

Ces dix suspects ne représentent évidemment qu'une fraction du marché, reconnaît l'inspecteur Évangéliste. « Au volume d'annonces qu'il y a sur le Net, je peux vous confirmer qu'il doit y avoir énormément de clients », ajoute le policier.

UNE PREMIÈRE AU QUÉBEC

Les suspects visés par l'opération sont accusés en vertu du nouvel article 286.1 du Code criminel. En décembre 2013, l'arrêt Bedford de la Cour suprême a obligé le gouvernement fédéral à modifier les lois sur la prostitution au Canada parce que les anciennes dispositions légales sur la sollicitation et les maisons de débauche forçaient les prostituées à travailler dans des conditions dangereuses. L'article 286.1 sur l'achat de services sexuels, qui vise clairement les clients, est ainsi entré en vigueur en décembre 2014.

« Après l'arrêt Bedford, plusieurs choses ont été mises sur la glace. Il fallait réorganiser nos façons de faire. La façon dont on a procédé, cette fois, je pense que c'est une première au Québec », a commenté mercredi l'inspecteur Martin Évangéliste.

La police de Laval confirme par ailleurs que d'autres opérations contre les clients sont en préparation pour lutter contre la prostitution juvénile.

Le maire de Laval, Marc Demers, a félicité les policiers mercredi. « Tout doit être mis en oeuvre pour contrer ce fléau. Les victimes sont particulièrement vulnérables et les conséquences peuvent être irréparables. Je ne suis pas surpris par l'efficacité et l'énergie déployée par la police de Laval dans ce dossier. Je suis confiant que la pression sera maintenue pour endiguer le phénomène » a-t-il déclaré.

- Avec la collaboration de Kathleen Lévesque