Ottawa demande l'aide du secteur financier dans sa lutte contre les sympathisants du groupe État islamique (EI).

De nouvelles directives ont été transmises le mois dernier aux banques, sociétés de crédit et autres acteurs de l'industrie afin qu'ils contribuent à détecter les Canadiens qui se préparent à prendre part au djihad, ici ou à l'étranger. Lors d'un colloque sur le sujet organisé à Toronto, les autorités ont expliqué hier ce qu'elles attendent du secteur privé.

Tout d'abord, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), organisme fédéral, recueille depuis longtemps les déclarations d'opérations financières jugées suspectes par les entreprises. La notion d'opération suspecte évolue toutefois avec le temps.

Contrairement à d'autres groupes, l'EI, qui contrôle un vaste territoire et des champs de pétrole, semble peu enclin à passer le chapeau pour se financer ici, souligne Barry MacKillop, sous-directeur du CANAFE.

«[Le groupe] est riche, apparemment. Le financement venu du Canada est probablement faible jusqu'à présent», dit-il. Il ne faut donc pas seulement surveiller l'argent qui s'en va vers le Moyen-Orient. Ce que CANAFE cherche maintenant en priorité, c'est l'argent utilisé au Canada, pour planifier un attentat ou un voyage.

Par ailleurs, financer des attentats comme ceux d'Ottawa et de Saint-Jean ne coûte presque rien. Prendre l'avion pour rejoindre les djihadistes en Syrie ne coûte pas une fortune non plus.

Le CANAFE est donc forcé de s'intéresser à des mouvements de très petites sommes, qui passent beaucoup plus facilement inaperçus.

«Une opération peut coûter moins de 3000$», constate Martin A. Cunningham, spécialiste de la question au sein de la Standard Chartered Bank, présent au colloque organisé par l'association ACAMS, regroupements d'experts en blanchiment d'argent.

Pour cibler les djihadistes potentiels au milieu de l'océan de petits clients qui effectuent chaque jour des transactions auprès des banques, le CANAFE a donc mis au point une série de nouveaux indicateurs.

Transmission rapide

La Presse révélait lundi que les transmissions d'informations par CANAFE aux forces policières ont plus que doublé en deux ans. Bien entendu, les signalements concernent de simples soupçons. Après vérifications, il n'y a souvent pas de menace découverte. Mais l'organisme tient malgré tout à être avisé rapidement si quelque chose cloche chez un client.

Sa hantise est de découvrir quelque chose trop tard. «Après les attentats du 20 octobre à Saint-Jean et du 22 octobre à Ottawa, nous avons travaillé 24 heures sur 24. Nous voulions savoir si quelque chose dans nos bases de données pouvait indiquer qu'une troisième attaque était en préparation. Heureusement, il n'y en avait pas», raconte Barry MacKillop.

Cibler les voyageurs à risque

Le CANAFE veut maintenant être averti lorsqu'un client a un profil présentant plusieurs des caractéristiques suivantes, qu'on retrouve chez des apprentis djihadistes désirant partir pour la Syrie. L'organisme analysera la situation et fera le lien avec la police au besoin.

• Achats liés au voyage (billet d'avion, visa d'entrée, passeport)

• Compte bancaire vidé

• Vente de ses possessions personnelles

• Accès à un compte bancaire canadien à partir d'une zone jugée à risque

• Client identifié publiquement comme un voyageur à risque

Trouver les radicaux à temps

Le CANAFE veut aussi être prévenu par les institutions financières lorsqu'un client manifeste certains des signes suivants associés aux individus radicalisés qui pourraient planifier des attentats ici. 

• Dons à une cause publiquement considérée comme problématique

• Achats inhabituels (armes, munitions, nitrate d'ammonium, propane, acétone)

• Remboursement rapide de dettes

• Activités publiques en ligne appuyant l'extrémisme violent

• Client qui annonce une date prévue pour la fermeture d'un compte