Pour la deuxième fois depuis trois mois, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) sent le besoin d'intervenir sur la place publique à cause des réactions courroucées suscitées par les acquittements relativement à des procès pour fraude dans le monde municipal.

Dans une lettre publiée aujourd'hui dans La Presse+, la directrice du DPCP, Annick Murphy, se porte ainsi à la défense des procureurs dont « la qualité, la compétence et la rigueur du travail [...] n'ont pas à être appréciées à la lumière d'un verdict ». Selon elle, il n'y a pas de défaite.

Me Murphy souligne toutefois que si l'institution qu'elle représente a le devoir de respecter l'autorité des tribunaux et de faire preuve de retenue, elle et son équipe ne sont pas « nécessairement toujours d'accord avec les décisions rendues dans les différentes causes ».

Elle réagit ainsi - sans jamais évoquer un dossier en particulier - à la décision du juge Yvan Poulin de la Cour du Québec qui a déclaré non coupables l'ancien numéro 2 de la Ville de Montréal Frank Zampino, l'entrepreneur Paolo Catania ainsi que quatre dirigeants de l'entreprise Construction F. Catania, mercredi dernier.

Le juge Poulin a conclu que la preuve présentée par le ministère public ne permettait pas de démontrer que les six hommes avaient participé à un stratagème frauduleux lié au développement du projet immobilier Faubourg Contrecoeur, dans l'est de Montréal. Dans la foulée, le juge a rappelé que des accusations criminelles ne pouvaient reposer sur des « possibilités, des probabilités ou des impressions ».

« Difficiles à accepter »

Le 2 février dernier, c'est l'entrepreneur Tony Accurso qui a été acquitté par un jury. Il était accusé d'avoir aidé l'ancien maire de Mascouche, Richard Marcotte, à commettre un abus de confiance dans l'attribution de contrats pour l'agrandissement d'une usine de production d'eau potable et d'une usine d'assainissement des eaux usées. Le ministère public a notamment plaidé que M. Accurso avait remis des pots-de-vin, dont un chèque de 300 000 $, au maire Marcotte pour que ses entreprises décrochent les contrats. Il s'agissait d'un prêt à un ami, a témoigné l'entrepreneur.

Me Murphy dit être « sensible aux commentaires » des derniers jours qui associent la décision du juge Poulin à l'échec du DPCP dans la lutte contre la corruption. « Certaines décisions judiciaires peuvent être difficiles à accepter et peuvent, à certains égards, heurter la population », écrit-elle avant d'expliquer le fardeau de la preuve qui incombe au DPCP. L'accusé n'a aucune obligation de donner sa version des faits aux policiers durant l'enquête, mais obtient toute la preuve détenue contre lui avant son procès.

Consciente que les scandales du Faubourg Contrecoeur et de Mascouche ont d'abord été le résultat d'enquêtes journalistiques et qu'ils ont été décortiqués par la suite devant la commission Charbonneau, Annick Murphy tient à rappeler qu'un tribunal n'est pas une commission d'enquête. Elle souligne également que l'obligation de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable prime toutes les informations qui ont été rendues publiques et qui peuvent être le fruit de rumeurs ou de fuites policières.

Dans le dossier de Mascouche, le DPCP a renoncé à porter le verdict en appel. Quant au jugement du Faubourg Contrecoeur, le DPCP a jusqu'au 2 juin pour prendre une décision. Une évaluation du dossier doit être entreprise, a affirmé la procureure au dossier, Me Nicole Martineau, à sa sortie du tribunal mercredi dernier.