Un cadre supérieur de la Sûreté du Québec poursuit son employeur pour 850 000 $ dans la foulée d'une enquête interne sur les fuites journalistiques qu'il juge « illégales ». L'enquête avait mené à la diffusion de « fausses informations » selon lesquelles il aurait entretenu une relation intime avec une journaliste vedette de Radio-Canada, dit-il.

L'affaire découle des audiences de la commission Chamberland sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques. La Sûreté du Québec avait eu à expliquer à cette occasion pourquoi elle avait obtenu secrètement la liste de tous les contacts téléphoniques de six journalistes en 2014, dans le cadre d'une enquête interne sur la fuite d'informations policières dans les médias, relativement à l'infiltration du crime organisé dans l'industrie de la construction.

Les déclarations sous serment rédigées par les enquêteurs pour obtenir la permission d'accéder aux informations personnelles des journalistes faisaient état d'une série d'indices préoccupants qui alimentaient leurs soupçons : ils évoquaient une relation intime entre la reporter Marie-Maude Denis, de l'émission Enquête, à Radio-Canada, et Denis Morin, le policier qui dirigeait à l'époque l'escouade Marteau, unité d'enquête qui se concentrait sur l'industrie de la construction (l'escouade a depuis été intégrée à l'Unité permanente anticorruption).

« CALOMNIE »

L'enquête interne s'est terminée en queue de poisson. Devant la commission Chamberland, Denis Morin a nié toute relation intime avec la journaliste. Marie-Maude Denis avait quant à elle qualifié les allégations de « calomnie ».

Sous serment, Denis Morin a aussi nié avoir transmis des informations privilégiées aux médias, même s'il convient avoir rencontré plusieurs journalistes dans le cadre de son travail.

« Le demandeur a grandement souffert des fausses allégations à son égard qui ont été publiées à la largeur du Québec », écrivent les avocats de Denis Morin dans la poursuite qui vient d'être déposée au palais de justice de Montréal.

« Le demandeur a eu à se justifier à maintes reprises auprès de ses proches, collègues de travail, ainsi que de sa femme suite aux fausses allégations quant au fait qu'il aurait eu une relation intime avec Mme Denis en échange d'informations confidentielles. »

- Extrait du document déposé en cour par les avocats de Denis Morin

Le policier d'expérience dit avoir subi un stress et des dommages moraux importants, en plus d'être victime d'une atteinte injustifiée à sa vie privée. Il affirme que l'un des enquêteurs chargés de l'enquête sur les fuites journalistiques a délibérément signé une déclaration contenant des « allégations mensongères ».

« L'enquête qui s'en est suivie a été faite sans vérification préalable des faits, hors des normes habituellement applicables aux enquêtes de la Sûreté du Québec, et sans diligence », lit-on dans la poursuite.

PROBLÈMES DE SANTÉ

Denis Morin n'a plus jamais occupé un poste aussi névralgique que la direction de l'escouade Marteau par la suite. Il est aujourd'hui inspecteur responsable du centre de service de la SQ à Brome-Missisquoi, ce qui le tient à l'écart des dossiers chauds. Les centres de service sont habituellement dirigés par un capitaine, grade inférieur à celui d'inspecteur.

Sa poursuite précise que sa santé s'est détériorée en raison des allégations qui ont circulé à son endroit et qu'il est maintenant en arrêt de travail complet. Il dit avoir perdu le lien de confiance qui le liait à ses confrères.

Le policier demande donc à la Cour de condamner le corps policier à lui verser 850 000 $ en dommages. Aucune date n'a été fixée pour un procès, à ce stade.

LA SQ N'A JAMAIS RÉTRACTÉ SA VERSION

La Sûreté du Québec n'a pas voulu commenter l'affaire hier, car elle se trouve devant les tribunaux. Mais comme le souligne la poursuite de M. Morin, le corps policier ne s'est jamais excusé pour les allégations à son endroit.

La SQ n'a jamais rétracté ses affirmations ni modifié sa version des faits, ce qui laisse entrevoir la possibilité d'une vraie bataille devant la cour.