La juge Suzanne Vadboncoeur concède qu'elle a pu traiter un constable spécial «d'épais et d'imbécile», le soir du 8 décembre dernier, parce que la porte de garage du palais de justice ne s'ouvrait pas. Elle s'en excuse. Mais elle est persuadée qu'elle n'a pas dit «gros crisse de con.»

«Épais, imbécile, ce serait le genre de paroles que je pourrais dire. Mais gros crisse de con, il y a une marge», a expliqué la juge Vadboncoeur, alors qu'elle témoignait, vendredi, devant le Comité d'enquête chargé d'étudier sa conduite et faire rapport au Conseil de la magistrature.

Cette juge de la Chambre civile de la Cour du Québec à Montréal, fait l'objet d'une plainte pour le comportement qu'elle a eu ce fameux soir, après le party de Noël des juges. Selon des témoins, dont un de ses collègues, la juge avait crié, gesticulé et lancé des insultes parce que la porte du garage du palais de justice ne s'ouvrait pas.

Vendredi, la juge s'est excusée pour son comportement. Elle a admis qu'elle a un caractère «fort», et qu'elle est impatiente au volant, surtout dans le Vieux-Montréal. Elle lève souvent les bras au ciel, ses proches le savent, a-t-elle fait valoir. Lors de son témoignage, elle a refait le fil de la soirée. 

La fête 

La fête avait commencé par un cocktail au Juriclub du palais, à 16 h 30, qui incluait les adjoints et membres du personnel. À 17 h 30, les juges se sont déplacés pour aller souper à l'Auberge du Vieux Saint-Grabriel, où une salle avait été réservée. Le souper s'est très bien passé, selon la juge Vadboncoeur, qui dit avoir quitté l'endroit à pied, vers 21 h 30, pour retourner au palais, afin de chercher sa voiture.  

Elle affirme avoir consommé en tout trois verres de vin : un verre de blanc au cocktail, et deux de rouge au souper. Un café a couronné le tout.

L'incident s'est produit autour de 22 heures, quand Mme Vadbocoeur attendait en file pour sortir du stationnement intérieur du palais. Deux voitures se trouvaient devant elle, et une autre est arrivée derrière elle. Comme la porte du garage ne s'ouvrait pas, elle s'est impatientée, est sortie de sa voiture à trois reprises. «J'ai demandé ce qui se passe, j'ai effectivement perdu patience», a-t-elle avoué, vendredi, en détaillant les minutes et les secondes de la vidéo qui a capté la scène. L'incident avait duré une dizaine de minutes, et elle était sortie à trois reprises de sa voiture.

«Elle parlait fort, criait, et faisait des menaces de plainte à l'endroit du constable, a fait valoir pour sa part le juge Vincenzo Piazza, qui a assisté à la scène. Sa déclaration écrite a été déposée en preuve dans le cadre de l'enquête. 

«La juge criait constamment et gesticulait, les bras dans les airs, et a même frappé le sol avec ses pieds» a-t-il noté. Le juge signale que sa collègue tutoyait les constables, qu'elle a prononcé les mots «épais, incompétent, même pas capable d'ouvrir une porte.»

La juge s'est aussi frappée la tempe avec l'index signifiant qu'elle ridiculisait le constable, et le trouvait épais, selon le juge Piazza. 

Le juge Piazza a été bouleversé par ce qu'il a vu au point qu'il n'en a pas dormi de la nuit. Le lendemain, il est allé s'excuser du comportement de la juge à la direction des constables, et a signalé que cette attitude était contraire à la déontologie d'un juge.

Le constable Robert David Jean a porté plainte, avec la suite que l'on connaît.

Une plainte contre un juge, si elle est accueillie, peut entraîner une sanction allant de la réprimande à la destitution. 

La juge Vadboncoeur, qui a 66 ans, songe à prendre sa retraite en 2017, mais elle aimerait continuer d'entendre certaines causes, a-t-elle fait valoir.

Manque de courtoisie

Vendredi, Me Jean-Claude Hébert, qui représente la juge Vadboncoeur, a parlé d'écart de conduite, d'incivilité, et de manque de courtoisie. Mais elle n'était pas dans le cadre de ses fonctions, a-t-il soulevé, et s'interroge à savoir si c'est une «conduite reprochable.» 

Me Sylvain Trudel, qui assiste le Comité, a pour sa part fait valoir qu'un juge doit avoir une conduite irréprochable en société, car les attentes sont supérieures à leur endroit. Il a parlé de comportement indigne d'un magistrat. «Quand on est nommé juge, il y a une certaine perte de liberté d'expression», a-t-il dit.

Le Comité a pris l'affaire en délibéré.

Saisie 

Soulignons que cette affaire avait été éventée il y a quelques mois par Le Journal de Montréal, avant que la preuve ne devienne publique. Le Conseil de la magistrature a porté plainte à la police, si bien que la Sûreté du Québec a obtenu un mandat de perquisition et a saisi l'ordinateur du journaliste Michael Nguyen. Le Journal contestera cette saisie.