Riadh Ben Aissa, l'ex-haut dirigeant de SNC-Lavalin accusé d'avoir orchestré de gigantesques complots de corruption au Québec et en Libye, est maintenant délateur pour la GRC dans le cadre d'une enquête sur les agissements du géant du génie-conseil québécois, a appris La Presse de plusieurs sources sûres.

Les détails de son entente de collaboration sont tenus secrets pour l'instant. Mais si l'escouade d'élite des enquêtes sur la corruption du corps policier fédéral a décidé d'en faire un collaborateur de la justice, c'est dans l'espoir qu'il fera tomber des cibles très importantes, confirment toutes les sources interrogées.

M. Ben Aissa est en guerre contre SNC-Lavalin depuis l'éclatement des scandales au Québec et en Libye. La firme de génie a réussi à se faire reconnaître comme une victime de ses agissements devant les tribunaux suisses. Dans des procédures civiles déposées au Québec, l'entreprise allègue par ailleurs que Ben Aissa et au moins un autre dirigeant ont violé le code de conduite interne et causé du tort à l'entreprise par leurs tractations avec le régime de l'ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi.

Le frère de Ben Aissa a aussi déposé une poursuite de 5 millions de dollars contre SNC-Lavalin, qu'il accuse d'avoir fait de son frère un bouc émissaire.

Crainte du PDG

Si plusieurs anciens dirigeants de SNC-Lavalin font face à des accusations criminelles pour des histoires de corruption, l'entreprise elle-même n'a été accusée de rien.

Mais dans une entrevue récente au Globe and Mail, le PDG de la firme, Robert Card, a laissé entendre qu'il s'inquiète toujours de cette possibilité. Il a déclaré que le dépôt d'accusations contre l'entreprise elle-même pourrait forcer son démantèlement ou sa vente à des intérêts étrangers, ce qui menacerait les 5000 emplois de son siège social de Montréal.

Il a été impossible de savoir si M. Card était au courant que M. Ben Aissa était devenu délateur lorsqu'il a manifesté ces inquiétudes. Hier, SNC-Lavalin n'a pas voulu formuler l'hypothèse sur les suites de l'enquête de la GRC.

Pas de collaboration avec l'UPAC

Riadh Ben Aissa est présentement détenu à Montréal dans un tout autre dossier, celui du trucage de l'appel d'offres du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), sur lequel a enquêté l'Unité permanente anticorruption (UPAC) du Québec. Il ne collabore pas avec la justice dans ce dossier, selon nos informations. Les procureurs provinciaux du Bureau de lutte à la corruption et à la malversation se sont d'ailleurs opposés à sa remise en liberté dans l'attente de son procès.

La GRC, pour sa part, enquête plutôt sur les activités de SNC-Lavalin en Afrique du Nord. Elle n'a pas encore déposé d'accusations contre Ben Aissa dans ce dossier, même s'il a plaidé coupable à des infractions connexes devant un tribunal suisse. Ce sont des procureurs de la Couronne fédérale qui piloteront ce dossier.

Dans des documents judiciaires liés à l'enquête, la GRC affirme que «au cours des 10 dernières années, des dirigeants de SNC-Lavalin auraient commis des actes de corruption d'agents publics étrangers dans le cadre de contrats majeurs octroyés en Tunisie et en Libye».

Qui est Riadh Ben Aissa ?

• Né en Tunisie le 23 septembre 1958

• Entre chez Lavalin en 1985

• Dès 1995, obtient pour sa firme une portion du contrat de la grande rivière artificielle libyenne (GRA).

• En 27 ans de service, réussit à décrocher des milliards en contrats pour SNC-Lavalin en Afrique du Nord. Selon la GRC, il versait des millions en pots-de-vin à de hauts dignitaires de la Libye et de la Tunisie. Il se gardait aussi de juteuses commissions personnelles sur ces paiements.

• Quitte SNC-Lavalin en février 2012 alors qu'une enquête interne a dévoilé des «paiements douteux» de 56 millions à même les coffres de l'entreprise. Au moment de son départ, Ben Aissa était vice-président directeur de la division construction de la firme. Il chapeautait 10 000 employés.

• Arrêté en Suisse en avril 2012 pour corruption et blanchiment d'argent concernant ses relations avec le régime libyen.

• Dans un tout autre dossier, l'UPAC obtient le dépôt d'accusations contre Ben Aissa pour le versement de 22,5 millions de dollars en pots-de-vin dans le dossier du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

• Après avoir plaidé coupable en Suisse, Ben Aissa est extradé vers le Québec le 15 octobre 2014 pour y subir son procès relativement au dossier du CUSM.