La théorie - et la croyance populaire - veut qu'un fugitif évite de laisser des traces et se cache dans une maison sombre et isolée, sans aucun contact avec autrui. Mais deux Hells Angels recherchés pour meurtres depuis l'opération SharQc, il y a cinq ans, ont réussi à garder le large sans changer leur apparence ni se montrer trop discrets. Et en prenant le risque de croiser des policiers.

Mai 2012. La photo d'un groupe de plongeurs en pleine formation est affichée sur un compte Facebook. Il fait un soleil radieux. Tout le monde sourit sur la photo. Les gens heureux n'ont pas d'histoire, dit-on. Pourtant, deux d'entre eux sont des criminels accusés de meurtres, parmi les plus recherchés au pays.

Alors qu'ils étaient en cavale depuis trois ans, à la suite de la vaste rafle anti-motards SharQc, Sylvain Tétreault et son ami Gaétan Brisebois, tous deux membres en règle de la section South des Hells Angels, se sont inscrits à des cours de plongée dans une réputée entreprise de Montréal.

Les deux hommes ont donné de faux noms, Michel L'Heureux pour Sylvain Tétreault et Jocelyn Perron pour Gaétan Brisebois, et de fausses dates de naissance. Ils se sont fait prendre en photo sans modifier leur apparence.

Après ses cours au printemps 2012, Tétreault se serait construit une nouvelle vie de maître plongeur et aurait vécu de ses talents en accompagnant des groupes de personnes contre rémunération. À une proche, il aurait fait croire qu'il avait une entreprise de plongée, que les policiers n'ont toutefois pas retracée.

Sylvain Tétreault a finalement été arrêté le 24 juillet dernier, alors qu'il venait de quitter à vélo une résidence de Bois-des-Filion, sur la couronne nord de Montréal, où il aurait vécu avec une femme et son enfant depuis environ deux ans. Selon nos sources, la femme ignorait la véritable identité de son conjoint et en a été durement ébranlée. Brisebois, lui, n'a pas encore été repris et fait toujours partie des huit fugitifs de l'opération SharQc.

Beaucoup de clients policiers

L'école de plongée où se sont inscrits les deux fugitifs est l'une des plus importantes au Canada, avec plus de 1000 inscriptions chaque année. Ses employés posent les questions usuelles à leurs futurs étudiants et c'est La Presse qui leur a appris que Tétreault était en fait un Hells Angel. La surprise a été totale.

«Pour nous, c'était un client normal. Ce qui est incroyable, c'est qu'il aurait pu arriver face à face avec un policier. Nous avons beaucoup de clients policiers. Les membres du groupe tactique d'intervention du SPVM viennent régulièrement ici», affirme l'un des propriétaires.

Tétreault, alias L'Heureux, a donc visiblement joué avec le feu. Il a loué de l'équipement à quelques reprises à cette école au printemps dernier. Sa dernière location remonte à juillet, peu de temps avant son arrestation.

Lui et Brisebois ont suivi deux cours de plongée: un de base et l'autre avancé, en mai et juin 2012. Des photos du groupe de plongeurs en formation ont circulé sur Facebook. Tétreault et Brisebois y apparaissent le torse nu et souriants.

Contrairement à plusieurs de ses «frères» Hells Angels, Tétreault n'arbore pas de tatouage de l'organisation. En revanche, il est difficile de savoir si Brisebois affichait toujours le tatouage des Evil Ones, celui des Hells Angels et les anges qu'il arborait à une certaine époque.

«Ils étaient très gentils et tranquilles. Ils disaient qu'ils faisaient aussi de la moto. L'Heureux [Sylvain Tétreault] était très bon plongeur», a confié sous le couvert de l'anonymat une personne qui a plongé avec eux.

Selon nos informations, Tétreault était déjà un plongeur expérimenté et aurait simplement voulu renouveler son permis au printemps 2012 pour pouvoir plonger d'un bateau.

En poussant plus loin sa recherche, La Presse a en effet constaté qu'avant l'opération SharQc (avril 2009), alors qu'il utilisait encore son nom réel et sa véritable date de naissance, Tétreault a suivi dix formations entre janvier 2006 et mars 2009, la dernière ayant eu lieu seulement 40 jours avant l'opération SharQc. Il aurait reçu son certificat d'entraîneur en 2007 et aurait été considéré comme tel jusqu'en 2010, à l'Association professionnelle d'instructeurs de plongée (PADI), la plus importante association du genre au monde.

Des sources ont laissé entendre que sous le nom de Michel L'Heureux, Sylvain Tétreault aurait donné des cours de plongée et pas seulement agi en tant qu'accompagnateur durant sa cavale, ce qui a cependant été impossible à vérifier. Michel L'Heureux (faussement né en février 1970), n'a jamais été inscrit comme formateur à la Fédération québécoise des activités subaquatiques et n'aurait donc pu offrir des formations au Québec. Par contre, Sylvain Tétreault, lui, a déjà été moniteur mandataire à la fédération, mais n'est plus actif, vraisemblablement depuis 2010.

Chasse au trésor

Après les cours qu'ils ont suivis au printemps 2012, Tétreault et Brisebois ont plongé ensemble, notamment à la carrière Morrison, à Wakefield, près de Gatineau, dans l'Outaouais. Des photos des deux motards, en plongée dans la carrière, ont même été affichées sur Facebook.

Plusieurs policiers fréquentent ce site achalandé très connu et prisé des plongeurs. Les membres de groupes tactiques, dont celui de la police de Toronto, y ont déjà suivi ou y suivent régulièrement des formations.

Après l'arrestation de Tétreault, les enquêteurs de l'escouade régionale mixte de Montréal ont découvert les coordonnées GPS de cette carrière dans le téléphone cellulaire de Tétreault et s'y sont rendus.

Ils ont montré une photo de Tétreault à la propriétaire, mais le nom ne correspondait pas. La femme a tout de même reconnu le visage de l'homme, qui serait venu avec une femme et un enfant moins d'une semaine auparavant. Elle a examiné le registre et arrêté son doigt sur le nom d'un certain Michel L'Heureux.

Selon certaines informations, Tétreault aurait jeté une balise au fond de la carrière Morrison alors qu'il accompagnait un groupe, et les policiers ont voulu le vérifier.

«Les enquêteurs sont restés deux jours ici. Ils ont plongé à l'endroit indiqué par les coordonnées GPS trouvées dans le cellulaire de l'homme, croyant qu'il avait caché quelque chose au fond de la carrière, mais ils n'ont rien trouvé», a raconté David Morrison, dont la famille possède la carrière.

À la Sûreté du Québec, on a refusé de commenter les informations obtenues par La Presse. «Nous ne pouvons le faire, car le dossier est toujours sous enquête», a simplement expliqué le lieutenant Michel Brunet.

Photo tirée de Facebook

Si Sylvain Tétreault (à gauche) a été arrêté le 24 juillet dernier, Gaétan Brisebois, lui, est toujours en fuite.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Gaétan Brisebois

Le prix à payer pour fuir la justice

Même si on croit qu'il aurait entretenu quelques contacts avec des Hells Angels, rien n'indique que Sylvain Tétreault a poursuivi ses activités criminelles durant sa longue cavale. Les policiers se demandent même s'il ne cherchait pas à s'éloigner du groupe.

«Tétreault n'était pas dans le day to day du milieu criminalisé, car il aurait été vu. Rien n'indique qu'il a continué de percevoir sa cote comme les autres membres qui sont détenus», a dit un  policier.

Un criminel en cavale qui veut reprendre ses activités dans le maquis doit inévitablement rétablir des contacts avec des complices. Il augmente alors sensiblement ses risques de se faire prendre. S'il ne veut pas se faire coincer, il doit agir comme Tétreault et s'isoler. Sauf qu'il ne joue alors plus son rôle de Hells Angel.

«Un motard en fuite n'est pas payant pour l'organisation. Il ne rapporte plus d'argent et de standing. Non seulement il n'est plus rentable, mais il peut même être nuisible. Il est dans les limbes. C'est comme dire qu'il n'est plus un Hells Angel», ajoute notre interlocuteur.

Cela coûte en plus très cher pour un criminel d'être en cavale. Et plus celle-ci est longue, plus le prix est fort.

Dans le cas des fugitifs de l'opération SharQc, la situation est probablement plus difficile pour ceux qui se trouvent toujours au Québec; ceux terrés dans un autre pays peuvent respirer plus à l'aise, mais ont vraisemblablement dû s'adapter et se recycler pour demeurer nécessaires à l'organisation.