La Cour suprême du Canada a confirmé mercredi la validité constitutionnelle du nouveau régime de certificats de sécurité instauré par le gouvernement Harper en 2008. La décision ouvre la porte à la déportation d'une personne arrêtée à Ottawa dans la foulée des attentats du 11-Septembre.

> Le jugement de la Cour suprême (PDF) La Cour se penchait sur la cause de Mohamed Harkat, arrêté en 2002 et soupçonné d'être un agent dormant d'Al Qaeda. M. Harkat est l'une des trois personnes à être toujours sous le coup d'un certificat de sécurité au Canada.

Le résident d'Ottawa de 45 ans demandait à la plus haute cour du pays d'invalider son certificat et de déclarer l'ensemble du régime inconstitutionnel, parce qu'il contreviendrait à son droit à un processus équitable.

Les juges ont refusé à l'unanimité et statué que le régime modifié en 2008 atteignait un équilibre acceptable entre les droits des personnes visées et le besoin de protéger la sécurité des Canadiens.  

« Il n'est pas facile de concevoir un régime qui instaure un processus fondamentalement équitable tout en protégeant les renseignements confidentiels touchant la sécurité nationale », a noté la juge en chef Beverley McLachlin.

Déportation? 

Le gouvernement fédéral peut émettre un certificat de sécurité à l'encontre d'un non-citoyen qui pose une menace pour la sécurité nationale. Ce certificat permet de détenir la personne et, éventuellement, de le déporter, sans que cette dernière puisse consulter l'ensemble de la preuve déposée contre elle.  

La décision de mercredi signifie que des procédures pour la déportation de M. Harkat vers l'Algérie pourront être entreprises. Ces procédures risquent d'être contestées à leur tour et les débats judiciaires pourraient durer encore plusieurs années.

M. Harkat et ses proches ont quitté la Cour suprême mercredi matin sans s'adresser aux médias. Plusieurs dans son entourage pleuraient.

Son avocat, Norman Boxall, a décrit son client et sa famille comme étant « dévastés », mais résolus à continuer à se battre contre la déportation. Selon lui, il existe un risque réel qu'il soit torturé s'il est renvoyé en Algérie, surtout s'il est identifié comme étant un terroriste lié au réseau Al Qaeda. 

En revanche, les risques qu'engendre sa présence au Canada sont inexistants, a fait valoir l'avocat : « Il est une personnalité publique, je ne crois pas qu'il pourrait opérer comme une cellule dormante : il est connu à travers le pays. Il n'a jamais rien fait. C'est difficile d'imaginer les risques qu'il pose ».

Admis au Canada comme réfugié et originaire d'Algérie, M. Harkat a été détenu pendant plus de 40 mois, mais il vit maintenant chez lui à Ottawa, où il est soumis à certaines conditions de semi-liberté. Il ne porte plus de bracelet GPS, mais ses communications électroniques sont surveillées. 

On ignore si la décision de la Cour suprême aura un impact sur ses conditions de libération.

La Cour suprême a statué en 2007 que le régime de certificats de sécurité remodelé après les attentats du 11 septembre 2001 était inconstitutionnel, puisqu'il ne permettait pas une communication suffisante de la preuve à la personne désignée, notamment.

Insatisfaction

Le gouvernement Harper a modifié le régime l'année suivante pour y inclure un nouveau joueur : un avocat spécial susceptible de recevoir une preuve plus complète et de participer aux audiences à huis clos. M. Harkat jugeait que les règles qui touchent les communications de ces avocats spéciaux avec leurs clients sont trop restrictives.

« Le régime requiert que la personne visée demeure suffisamment informée - c'est-à-dire qu'elle doit être en mesure de donner des instructions utiles à ses avocats publics et des indications et des renseignements utiles à ses avocats spéciaux », a statué la juge McLachlin.

L'arrêt fournit une marche à suivre détaillée pour tous les acteurs qui seront impliqués dans ces procédures dans l'avenir. Il s'appuie fortement sur l'importance de la discrétion du juge de première instance, chargé par la loi d'examiner la validité du certificat. À noter que deux juges ont inscrit une dissidence sur une question plus technique de l'arrêt. 

Alex Neves, président d'Amnistie Internationale Canada, a déploré le fait que la Cour n'ait pas analysé la question à la lumière des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Pourtant, a-t-il maintenu, « c'est un processus qui, dans une perspective de droits de la personne, ne respecte pas les obligations du Canada quant aux critères de procès équitable ». 

À l'extérieur de l'édifice de la Cour suprême, à Ottawa, quelques dizaines de manifestants exprimaient leur solidarité avec Mohamed Harkat et leur opposition aux certificats de sécurité. Bessa Whitmore s'est dite inquiète par la décision de la Cour qui, selon elle, implique qu'un homme pourrait être déporté sur la base d'un processus qu'elle considère toujours comme inéquitable.

« Dès que vous ignorez le processus équitable et permettez que de la preuve gardée secrète vous rende coupable sans que vous puissiez y répondre, nous sommes tous en danger », a lancé la manifestante.