Les nouvelles dispositions du Code criminel qui obligent les juges à imposer une suramende de 100 $ ou 200 $ par chef d'accusation continuent de faire des remous. À Montréal, le juge Patrick Healy, de la Cour du Québec, a contourné le problème récemment en imposant deux amendes de 5 $ à un accusé démuni, ce qui lui a donné la possibilité de fixer les deux suramendes à 1,50 $ chacune.

L'homme en question, Richard Jason Cloud, est un autochtone originaire du Nouveau-Brunswick, qui se décrit lui-même comme un déraciné. Il n'a plus de contact avec sa famille directe, pas de travail, pas de compte en banque. Son histoire est faite de pauvreté, d'itinérance, de violence et d'alcoolisme, a relevé le juge. Tard en 2013, il a commencé à recevoir de l'aide sociale, soit 600 $ par mois. Il n'avait pas de logement, mais était hébergé chez un cousin, à qui il remettait 200 $ par mois. 

En décembre dernier, M. Cloud a plaidé coupable à des accusations de méfait et d'agression armée, pour un incident survenu dans un dépanneur un mois plus tôt. Il avait brisé une vitre et frappé quelqu'un avec une pierre. L'homme a plusieurs condamnations à son actif.

La Couronne et la défense suggéraient conjointement de lui imposer une peine de trois mois de prison, assortie de deux ans de probation. L'entrée en vigueur, le 24 octobre dernier, de la Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l'égard des victimes oblige par ailleurs le juge à imposer 200 $ de suramende pour chaque chef d'accusation pris par acte criminel, et cela, sans distinction.

Pas les moyens

M. Cloud n'a pas les moyens de payer la suramende de 400 $, a évalué le juge Healy. Ce qui signifie qu'il se retrouvera en infraction pour ne pas avoir payé. Il faudra l'arrêter à nouveau et l'emprisonner. Une personne qui ne paie pas son amende s'expose en effet à « payer » en jours de prison. Le calcul va comme suit : une journée de prison vaut 81 $ en amende. Ainsi, M. Cloud devrait faire cinq jours de prison pour « payer » son amende. Selon une estimation qu'il juge conservatrice, le juge note qu'un prisonnier coûte 200 $ par jour. Ce qui revient à dire que l'État devrait dépenser 1000 $ pour punir celui qui n'a pas payé sa suramende de 400 $.

Le juge a cherché une solution dans les limites de la loi.

« Je suis lié par mon serment d'office. Je ne peux pas désobéir à la loi qui régit la section 737 [du Code criminel]. Mais même si la question constitutionnelle n'est pas soulevée, je peux interpréter la loi de manière la plus conforme à la loi, aux principes et à la jurisprudence de nos cours. C'est ce que je vais faire en imposant une peine de prison, assortie d'une probation et d'une amende. L'amende va diminuer la suramende », a fait valoir le juge dans le jugement exhaustif de 27 pages qu'il a rendu au début du mois.

En appel

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ne voit pas les choses de la même manière et en appelle de la décision du juge Healy, a confirmé Me Jean-Pascal Boucher, porte-parole du DPCP.

L'appel est piloté par Me Dennis Galiatsatos. Dans sa requête, Me Galiatsatos soutient que le juge Healy a erré en droit, en combinant les peines de prison, d'amende et de probation. Le procureur reproche aussi au juge de première instance d'avoir imposé 5 $ d'amende dans le seul but de frustrer la volonté du Parlement et d'annuler complètement l'intention du législateur. Cette requête pour permission d'appel sera entendue le 27 février.

Rappelons que l'imposition de suramendes compensatoires vise à venir en aide aux victimes d'actes criminels. Le principe n'est pas nouveau, mais jusqu'à l'automne dernier, les juges y allaient au cas par cas pour l'imposer ou pas. Ils n'ont plus cette discrétion maintenant. La suramende est imposée même à celui qui obtient une absolution.