Une riposte est lancée au sein du SPVM, où le nombre d'enquêtes internes visant des cadres fracasse des records depuis l'arrivée du directeur Marc Parent. Deux dirigeants suspendus de leurs fonctions s'adressent aux tribunaux pour forcer le gouvernement à changer la façon «archaïque» et «inéquitable» dont la police de Montréal traite les cas liés à la discipline.

Dans leur requête à la Cour supérieure, que La Presse a pu consulter, l'inspecteur-chef Giovanni Di Feo et l'inspecteur Jimmy Cacchione interpellent directement le ministre de la Sécurité publique Stéphane Bergeron, le procureur général du Québec et la Ville de Montréal.

Ils demandent que les règles disciplinaires du SPVM soient modifiées par Québec avant que leur dossier ne soit examiné par un comité de discipline. Sans quoi, ils craignent d'être jugés en secret, sans accès adéquat à la preuve, par des cadres choisis par leur chef, avec qui ils sont en froid.

L'inspecteur-chef Di Feo, cadre-conseil aux services à la communauté, et l'inspecteur Cacchione, responsable de l'aéroport Montréal-Trudeau, ont été suspendus de leur fonction le 17 juin 2013.

Ils s'étaient retrouvés sur le radar d'une enquête de la Gendarmerie royale du Canada parce qu'ils avaient des contacts préoccupants avec des «personnes d'intérêt» de mauvaise réputation comme Luigi Coretti, ancien patron de l'agence de sécurité BCIA accusé de fraude.

Critiques

Cacchione et Di Feo ont été placés sur écoute électronique, et de nouveaux reproches disciplinaires leur ont été faits lorsqu'on les a entendus critiquer durement Marc Parent et son entourage lors de conversations privées.

Les deux cadres n'ont toujours reçu qu'une partie de la preuve retenue contre eux. Leur audience disciplinaire est constamment reportée, et l'association des cadres du SPVM a déjà dépensé 60 000$ pour leur défense. Le comité de discipline qui doit les juger est formé de trois membres choisis par le directeur, Marc Parent.

L'affaire est controversée au SPVM. Certains de leurs collègues croient qu'ils sont davantage victimes de leurs critiques à l'endroit de Marc Parent que de leurs contacts avec des personnes peu fréquentables, ce qu'a nié la direction. Des cadres se sont maintenant acheté des téléphones personnels pour éviter que les conversations ne soient épiées lorsqu'ils critiquent la direction.

Treize ans d'inaction

Dans leur requête à la Cour, les avocats des deux cadres soulignent qu'en 2000, le gouvernement du Québec avait adopté une nouvelle Loi sur la police, qui prévoyait l'adoption de nouveaux règlements sur la discipline interne à la Sûreté du Québec et au SPVM.

C'était le gouvernement, sur recommandation du ministère de la Sécurité publique et de la Ville de Montréal, qui devait adopter ces règlements.

Le gouvernement a agi dans le cas de la SQ: il a adopté un nouveau règlement qui prévoit l'équité procédurale et plusieurs protections contre l'arbitraire en audience disciplinaire.

Mais pour le SPVM, Québec n'a jamais adopté de règlement modernisé, 13 ans après l'entrée en vigueur de la Loi sur la police. La police de Montréal se base plutôt sur un vieux règlement municipal en matière disciplinaire, qui accorde beaucoup moins de protection aux policiers en matière d'équité procédurale.

«Depuis maintenant 13 ans, les policiers salariés et les officiers de direction du SPVM sont cités en discipline en vertu [d'un] règlement archaïque et adopté en 1990, par une autorité [la Ville de Montréal] qui, aujourd'hui, ne jouit que d'un pouvoir de recommandation en matière de réglementation de discipline interne des policiers», lit-on dans la requête des cadres suspendus.

«Dans l'intérêt de tous»

Les deux cadres demandent donc à la Cour de forcer la Ville à faire ses recommandations, de forcer Québec à en tenir compte et à promulguer un nouveau règlement. Ils veulent aussi que toutes les procédures à leur endroit soient suspendues d'ici l'adoption des nouvelles règles.

Ils affirment que cette cause est «dans l'intérêt de tous les policiers de Montréal».

Jeudi, La Presse révélait que 10% des cadres se sont retrouvés dans la ligne de mire depuis l'arrivée du directeur Marc Parent, du jamais vu.

Douze enquêtes sur des cadres ont été déclenchées par la Division des affaires internes pour des allégations jugées sérieuses d'ordre disciplinaire (4 cas) ou criminel (8 cas).

Certaines personnes qui se sont confiées à La Presse voient dans ces chiffres une chasse aux sorcières injustifiée par Marc Parent. D'autres, un ménage nécessaire de la part d'un directeur qui a fait de l'éthique une priorité. D'autres, enfin, croient qu'il y a un peu des deux dans ce grand remue-ménage.

Ni la Ville de Montréal ni les deux officiers suspendus n'ont voulu commenter l'affaire.