À peine une poignée de personnes à la Sûreté du Québec (SQ) peuvent autoriser le genre de paiements mis en cause par l'enquête actuelle, à partir d'un fonds dont les documents justificatifs sont enfermés à double tour dans un coffre-fort, à l'abri des regards des élus et du vérificateur général.

Les fameuses dépenses secrètes, ou «fonds des opérations spéciales», sont puisées à même le budget annuel de la SQ, qui oscille autour de 900 millions. Leur valeur totale annuelle pourrait parfois grimper jusqu'à 20 millions, nous a-t-on dit. On les utilise pour payer des délateurs, la location d'appartements servant de planques, l'organisation d'infiltrations secrètes, etc.

Impossible toutefois d'avoir les chiffres exacts, car tout ce qui touche les opérations et enquêtes criminelles est gardé confidentiel. Le montant n'apparaît pas non plus dans le rapport annuel de gestion. Ni les élus ni le vérificateur général n'y ont accès. Les dépenses ne sont évidemment pas soumises à un processus public d'appel d'offres, ce qui dévoilerait à la population et aux criminels les secrets des enquêtes en cours.

Mais quelque part au quartier général de la SQ, dans un coffre-fort, se trouvent tous les documents relatifs aux dépenses de ce fonds depuis de nombreuses années. Le contrôle est serré, nous assure-t-on, et les enquêteurs qui veulent avoir accès à un budget doivent le justifier de façon rigoureuse en fonction des besoins de l'enquête.

«Ils s'assurent que personne ne puisse prétendre payer un faux informateur, par exemple», explique une source.

Dans les études de crédit 2010-2011 du ministère de la Sécurité publique, on mentionne néanmoins un budget annuel de 1,1 million de dollars consacré aux «opérations spéciales» des escouades régionales mixtes.

La SQ bénéficie aussi d'enveloppes ponctuelles dites «CT», car elles proviennent du Conseil du Trésor et touchent des «dépenses extraordinaires» - par exemple, la lutte contre la contrebande de tabac, des manifestations s'étalant sur une longue période et d'autres événements ponctuels. Ces dépenses sont soumises à une reddition de comptes, ce qui n'est pas le cas des dépenses secrètes.

En entrevue à La Presse, le délateur Normand Brisebois, qui poursuit actuellement le gouvernement du Québec pour non-respect de contrat lié à la guerre des motards dans les années 90, affirme qu'il n'est pas étonné d'apprendre que des fonds secrets auraient été utilisés de façon «inappropriée».

Il raconte qu'avant de signer son contrat officiel, des policiers lui versaient 500$ comptant chaque semaine, puisés dans les fonds secrets, en échange d'une signature sur un banal cahier de reçus anonyme. «Il y avait beaucoup de cash qui circulait au Service de protection des témoins, affirme-t-il. Ils disaient toujours que «sky is the limit», ils étaient prêts à te donner la lune pour être certains que tu signes un contrat de délateur. Et aujourd'hui, lorsqu'on pose des questions sur l'argent [dans le cadre de sa procédure judiciaire], ils invoquent des motifs de sécurité pour ne pas répondre. Il y a toujours des embûches».